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ANCIENS ET MODERNES.

élégance continue, de cette pureté de langage, de cette vérité dans les caractères qui ne se trouve que chez lui ; de cette grandeur sans enflure qui seule est grandeur ; de ce naturel qui ne s’égare jamais dans de vaines déclamations, dans des disputes de sophiste, dans des pensées aussi fausses que recherchées, souvent exprimées en solécismes ; dans des plaidoyers de rhétorique plus faits pour les écoles de province que pour la tragédie.

Le même homme verra dans Racine de la faiblesse et de l’uniformité dans quelques caractères ; de la galanterie, et quelquefois de la coquetterie même ; des déclarations d’amour qui tiennent de l’idylle et de l’élégie plutôt que d’une grande passion théâtrale. Il se plaindra de ne trouver, dans plus d’un morceau très-bien écrit, qu’une élégance qui lui plaît, et non pas un torrent d’éloquence qui l’entraîne ; il sera fâché de n’éprouver qu’une faible émotion, et de se contenter d’approuver, quand il voudrait que son esprit fût étonné et son cœur déchiré.

C’est ainsi qu’il jugera les anciens, non pas sur leurs noms, non pas sur le temps où ils vivaient, mais sur leurs ouvrages mêmes ; ce n’est pas trois mille ans qui doivent plaire, c’est la chose même. Si une darique a été mal frappée, que m’importe qu’elle représente le fils d’Hystaspe ? La monnaie de Varin est plus récente, mais elle est infiniment plus belle.

Si le peintre Timante venait aujourd’hui présenter à côté des tableaux du Palais-Royal son tableau du sacrifice d’Iphigénie, peint de quatre couleurs ; s’il nous disait : « Des gens d’esprit m’ont assuré en Grèce que c’est un artifice admirable d’avoir voilé le visage d’Agameranon, dans la crainte que sa douleur n’égalât pas celle de Clytemnestre, et que les larmes du père ne déshonorassent la majesté du monarque ; » il se trouverait des connaisseurs qui lui répondraient : « C’est un trait d’esprit, et non pas un trait de peintre ; un voile sur la tête de votre principal personnage fait un effet affreux dans un tableau : vous avez manqué votre art[1]. Voyez le chef-d’œuvre de Rubens qui a su exprimer sur le visage de Marie de Médicis la douleur de l’enfantement, l’abattement, la joie, le sourire, et la tendresse, non avec quatre couleurs, mais avec toutes les teintes de la nature. Si vous vouliez qu’Agamemnon cachât un peu son visage, il fallait qu’il eu cachât une partie avec ses mains posées sur son front et sur ses yeux, et non pas avec un voile que les hommes n’ont jamais porté, et qui est aussi désagréable à la vue, aussi peu pittoresque,

  1. Voltaire en reparle dans l’article Imagination, section Ire.