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ÂNE.

Le plus plaisant de l’aventure est pourtant dans Lucien ; et ce plaisant est qu’une dame devint amoureuse de ce monsieur lorsqu’il était âne, et n’en voulut plus lorsqu’il ne fut qu’homme. Ces métamorphoses étaient fort communes dans toute l’antiquité. L’âne de Silène avait parlé, et les savants ont cru qu’il s’était expliqué en arabe : c’était probablement un homme changé en âne par le pouvoir de Bacchus, car on sait que Bacchus était Arabe. Virgile parle de la métamorphose de Mœris en loup comme d’une chose très-ordinaire.


.... Sæpe lupum fieri, et se condere silvis
Mœrim....

Ecl., viii, v. 97-98.


Mœris devenu loup se cacha dans les bois.

Cette doctrine des métamorphoses était-elle dérivée des vieilles fables d’Égypte, qui débitèrent que les dieux s’étaient changés en animaux dans la guerre contre les géants ?

Les Grecs, grands imitateurs et grands enchérisseurs sur les fables orientales, métamorphosèrent presque tous les dieux en hommes ou en bêtes, pour les faire mieux réussir dans leurs desseins amoureux.

Si les dieux se changeaient en taureaux, en chevaux, en cygnes, en colombes, pourquoi n’aurait-on pas trouvé le secret de faire la même opération sur les hommes ?

Plusieurs commentateurs, en oubliant le respect qu’ils devaient aux saintes Écritures, ont cité l’exemple de Nabuchodonosor changé en bœuf ; mais c’était un miracle, une vengeance divine, une chose entièrement hors de la sphère de la nature, qu’on ne devait pas examiner avec des yeux profanes, et qui ne peut être l’objet de nos recherches.

D’autres savants, non moins indiscrets peut-être, se sont prévalus de ce qui est rapporté dans l’Évangile de l’enfance[1]. Une jeune fille, en Égypte, étant entrée dans la chambre de quelques femmes, y vit un mulet couvert d’une housse de soie, ayant à son cou un pendant d’ébène. Ces femmes lui donnaient des baisers, et lui présentaient à manger en répandant des larmes. Ce mulet était le propre frère de ces femmes. Des magiciennes lui avaient ôté la figure humaine ; et le Maître de la nature la lui rendit bientôt.

Quoique cet évangile soit apocryphe, la vénération pour le

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1769, la Collection d’anciens évangiles.