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ANNATES.

Trois célèbres jurisconsultes, Dumoulin, Lannoy, et Duaren, ont fortement écrit contre les annates, qu’ils appellent une véritable simonie. Si, à défaut de les payer, le pape refuse des bulles, Duaren conseille à l’Église gallicane d’imiter celle d’Espagne, qui, dans le douzième concile de Tolède, chargea l’archevêque de cette ville de donner, sur le refus du pape, des provisions aux prélats nommés par le roi.

C’est une maxime des plus certaines du droit français, consacrée par l’article 14 de nos libertés[1] que l’évêque de Rome n’a aucun droit sur le temporel des bénéfices, et qu’il ne jouit des annates que par la permission du roi[2]. Mais cette permission ne doit-elle pas avoir un terme ? à quoi nous servent nos lumières, si nous conservons toujours nos abus ?

Le calcul des sommes qu’on a payées et que l’on paye encore au pape est effrayant. Le procureur général Jean de Saint-Romain a remarqué que du temps de Pie II, vingt-deux évêchés ayant vaqué en France pendant trois années, il fallut porter à Rome cent vingt mille écus ; que soixante et une abbayes ayant aussi vaqué, on avait payé pareille somme à la cour de Rome ; que vers le même temps on avait encore payé à cette cour, pour les provisions des prieurés, doyennés, et des autres dignités sans crosse, cent mille écus ; que pour chaque curé il y avait eu au moins une grâce expectative qui était vendue vingt-cinq écus, outre une infinité de dispenses dont le calcul montait à deux millions d’écus. Le procureur général de Saint-Romain vivait du temps de Louis XI. Jugez à combien ces sommes monteraient aujourd’hui. Jugez combien les autres États ont donné. Jugez si la république romaine, au temps de Lucullus, a plus tiré d’or et d’argent des nations vaincues par son épée, que les papes, les pères de ces mêmes nations, n’en ont tiré par leur plume.

Supposons que le procureur général de Saint-Romain se soit trompé de moitié, ce qui est bien difficile, ne reste-t-il pas encore une somme assez considérable pour qu’on soit en droit de compter avec la chambre apostolique, et de lui demander une restitution, attendu quêtant d’argent n’a rien d’apostolique ?

  1. Voyez l’article Liberté : mot très-impropre pour signifier des droits naturels et imprescriptibles. (Note de Voltaire.)
  2. Sur les libertés de l’Église gallicane, voyez le chapitre xxxv du Siècle de Louis XIV.