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APPARITION.

volonté du Maître de la nature n’ait joint quelquefois sa divine influence. L’Ancien et le Nouveau Testament en sont d’assez évidents témoignages. La Providence daigna employer ces apparitions, ces visions en faveur du peuple juif, qui était alors son peuple chéri.

Il se peut que dans la suite des temps quelques âmes, pieuses à la vérité, mais trompées par leur enthousiasme, aient cru recevoir d’une communication intime avec Dieu ce qu’elles ne tenaient que de leur imagination enflammée. C’est alors qu’on a besoin du conseil d’un honnête homme, et surtout d’un bon médecin.

Les histoires des apparitions sont innombrables. On prétend que ce fut sur la foi d’une apparition que saint Théodore, au commencement du ive siècle, alla mettre le feu au temple d’Amassée, et le réduisit en cendres. Il est bien vraisemblable que Dieu ne lui avait pas ordonné cette action, qui en elle-même est si criminelle, dans laquelle plusieurs citoyens périrent, et qui exposait tous les chrétiens à une juste vengeance.

Que sainte Potamienne ait apparu à saint Basilide, Dieu peut l’avoir permis ; il n’en a rien résulté qui troublât l’État. On ne niera pas que Jésus-Christ ait pu apparaître à saint Victor ; mais que saint Benoît ait vu l’âme de saint Germain de Capoue portée au ciel par des anges, et que deux moines aient vu celle de saint Benoît marcher sur un tapis étendu depuis le ciel jusqu’au Mont-Cassin, cela est plus difficile à croire.

On peut douter de même, sans offenser notre auguste religion, que saint Eucher fut mené par un ange en enfer, où il vit l’âme de Charles Martel ; et qu’un saint ermite d’Italie ait vu des diables qui enchaînaient l’âme de Dagobert dans une barque, et lui donnaient cent coups de fouet : car après tout il ne serait pas aisé d’expliquer nettement comment une âme marche sur un tapis, comment on l’enchaîne dans un bateau, et comment on la fouette.

Mais il se peut très-bien faire que des cervelles allumées aient eu de semblables visions ; on en a mille exemples de siècle en siècle. Il faut être bien éclairé pour distinger dans ce nombre prodigieux de visions celles qui viennent de Dieu même et celles qui sont produites par la seule imagination.

L’illustre Bossuet rapporte, dans l’Oraison funèbre de la princesse palatine[1] deux visions qui agirent puissamment sur cette

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1767, la Lettre sur les panégyriques.