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APPARITION.

princesse, et qui déterminèrent toute la conduite de ses dernières années. Il faut croire ces visions célestes, puisqu’elles sont regardées comme telles par le disert et savant évêque de Meaux, qui pénétra toutes les profondeurs de la théologie, et qui même entreprit de lever le voile dont l’Apocalypse est couvert.

Il dit donc que la princesse palatine, après avoir prêté cent mille francs à la reine de Pologne sa sœur, vendu le duché de Réthelois un million, marié avantageusement ses filles, étant heureuse selon le monde, mais doutant malheureusement des vérités de la religion catholique, fut rappelée à la conviction et à l’amour de ces vérités ineffables par deux visions. La première fut un rêve, dans lequel un aveugle-né lui dit qu’il n’avait aucune idée de la lumière et qu’il fallait en croire les autres sur les choses qu’on ne peut concevoir. La seconde fut un violent ébranlement des méninges et des fibres du cerveau dans un accès de fièvre. Elle vit une poule qui courait après un de ses poussins qu’un chien tenait dans sa gueule. La princesse palatine arrache le petit poulet au chien ; une voix lui crie : « Rendez-lui son poulet ; si vous le privez de son manger, il fera mauvaise garde. — Non, s’écria la princesse, je ne le rendrai jamais. »

Ce poulet, c’était l’âme d’Anne de Gonzague, princesse palatine ; la poule était l’Église ; le chien était le diable. Anne de Gonzague, qui ne devait jamais rendre le poulet au chien, était la grâce efficace.

Bossuet prêchait cette oraison funèbre aux religieuses carmélites du faubourg Saint-Jacques à Paris, devant toute la maison de Condé ; il leur dit ces paroles remarquables : « Écoutez ; et prenez garde surtout de n’écouter pas avec mépris l’ordre des avertissements divins et la conduite de la grâce. »

Les lecteurs doivent donc lire cette histoire avec le même respect que les auditeurs l’écoutèrent. Ces effets extraordinaires de la Providence sont comme les miracles des saints qu’on canonise. Ces miracles doivent être attestés par des témoins irréprochables. Eh ! quel déposant plus légal pourrions-nous avoir des apparitions et des visions de la princesse palatine que celui qui employa sa vie à distinguer toujours la vérité de l’apparence ? Il combattit avec vigueur contre les religieuses de Port-Royal sur le formulaire ; contre Paul Ferry, sur le catéchisme ; contre le ministre Claude, sur les variations de l’Église ; contre le docteur Dupin, sur la Chine ; contre le P. Simon, sur l’intelligence du texte sacré ; contre le cardinal Sfondrate, sur la prédestination ; contre le pape, sur les droits de l’Église gallicane ; contre l’archevêque de