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APPARITION.

Cambrai, sur l’amour pur et désintéressé. Il ne se laissait séduire, ni par les noms, ni par les titres, ni par la réputation, ni par la dialectique de ses adversaires. Il a rapporté ce fait, il l’a donc cru. Croyons-le comme lui, malgré les railleries qu’on en a faites. Adorons les secrets de la Providence ; mais défions-nous des écarts de l’imagination, que Malebranche appelait la folle du logis. Car les deux visions accordées à la princesse palatine ne sont pas données à tout le monde.

Jésus-Christ apparut à sainte Catherine de Sienne ; il l’épousa ; il lui donna un anneau. Cette apparition mystique est respectable, puisqu’elle est attestée par Raimond de Capoue, général des dominicains, qui la confessait, et même par le pape Urbain VI. Mais elle est rejetée par le savant Fleury, auteur de l’Histoire ecclésiastique. Et une fille qui se vanterait aujourd’hui d’avoir contracté un tel mariage pourrait avoir une place aux petites-maisons pour présent de noce.

L’apparition de la mère Angélique, abbesse de Port-Royal, à sœur Dorothée, est rapportée par un homme d’un très-grand poids dans le parti qu’on nomme janséniste : c’est le sieur Dufossé, auteur des Mémoires de Pontis. La mère Angélique, longtemps après sa mort, vint s’asseoir dans l’église de Port-Royal à son ancienne place, avec sa crosse à la main. Elle commanda qu’on fît venir sœur Dorothée, à qui elle dit de terribles secrets. Mais le témoignage de ce Dufossé ne vaut pas celui de Raimond de Capoue et du pape Urbain VI, lesquels pourtant n’ont pas été recevables.

Celui qui vient d’écrire ce petit morceau a lu ensuite les quatre volumes de l’abbé Lenglet sur les apparitions[1] et ne croit pas devoir en rien prendre. Il est convaincu de toutes les apparitions avérées par l’Église ; mais il a quelques doutes sur les autres jusqu’à ce qu’elles soient authentiquement reconnues. Les cordeliers et les jacobins, les jansénistes et les molinistes, ont eu leurs apparitions et leurs miracles[2].

Iliacos intra muros peccatur et extra.
Hor., 1. I, ep. ii.


APPEL COMME D’ABUS, voyez ABUS.


  1. L’ouvrage de l’abbé Lenglet-Dufresnoy est intitulé Recueil de dissertations anciennes et nouvelles sur les apparitions, les visions et les songes, avec une préface historique et un catalogue des auteurs qui ont écrit sur les esprits, les visions, les apparitions, les songes et les sortilèges, 1752, 4 volumes in-12.
  2. Voyez les articles Vision et Vampires. (Note de Voltaire.)