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ARARAT.

qui existaient alors se sont fondés sur l’inutilité de noyer des terres non peuplées, et cette raison a paru assez plausible. Nous nous en tenons au texte de l’Écriture, sans prétendre l’expliquer. Mais nous prendrons plus de liberté avec Bérose, ancien auteur chaldéen, dont on retrouve des fragments conservés par Abydène, cités dans Eusèbe, et rapportés mot à mot par George le Syncelle.

On voit par ces fragments que les Orientaux qui bornent le Pont-Euxin faisaient anciennement de l’Arménie la demeure des dieux. Et c’est en quoi les Grecs les imitèrent. Ils placèrent les dieux sur le mont Olympe. Les hommes transportent toujours les choses humaines aux choses divines. Les princes bâtissaient leurs citadelles sur des montagnes : donc les dieux y avaient aussi leurs demeures ; elles devenaient donc sacrées. Les brouillards dérobent aux yeux le sommet du mont Ararat : donc les dieux se cachaient dans ces brouillards, et ils daignaient quelquefois apparaître aux mortels dans le beau temps.

Un dieu de ce pays, qu’on croit être Saturne, apparut un jour à Xixutre[1] dixième roi de la Chaldée, suivant la supputation d’Africain, d’Abydène, et d’Apollodore. Ce dieu lui dit : « Le quinze du mois d’Oesi, le genre humain sera détruit par le déluge. Enfermez bien tous vos écrits dans Sipara, la ville du soleil, afin que la mémoire des choses ne se perde pas. Bâtissez un vaisseau ; entrez-y avec vos parents et vos amis ; faites-y entrer des oiseaux, des quadrupèdes ; mettez-y des provisions ; et quand on vous demandera : Où voulez-vous aller avec votre vaisseau ? répondez : Vers les dieux, pour les prier de favoriser le genre humain. »

Xixutre bâtit son vaisseau, qui était large de deux stades, et long de cinq : c’est-à-dire que sa largeur était de deux cent cinquante pas géométriques, et sa longueur de six cent vingt-cinq. Ce vaisseau, qui devait aller sur la mer Noire, était mauvais voilier. Le déluge vint. Lorsque le déluge eut cessé, Xixutre lâcha quelques-uns de ses oiseaux, qui, ne trouvant point à manger, revinrent au vaisseau. Quelques jours après il lâcha encore ses oiseaux, qui revinrent avec de la boue aux pattes. Enfin ils ne revinrent plus. Xixutre en fit autant : il sortit de son vaisseau, qui était perché sur une montagne d’Arménie, et on ne le vit plus : les dieux l’enlevèrent.

  1. Cet alinéa et le suivant se trouvent reproduits presque textuellement dans le onzième des Dialogues d’Évhémère. Voyez les Mélanges, année 1777. Voyez aussi tome XI, page 28.