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ARGENT.

avec l’extraordinaire, il fut, année commune, d’environ quatre cent mille ; mais il fallait qu’elle employât ce surplus à se défendre de Philippe II. Sans une extrême économie elle était perdue, et l’Angleterre avec elle.

Le revenu de Henri III se montait à la vérité à trente millions de livres de son temps : cette somme était à la seule somme que Philippe II retirait des Indes, comme trois à dix ; mais il n’entrait pas le tiers de cet argent dans les coffres de Henri III, très-prodigue, très-volé, et par conséquent très-pauvre ; il se trouve que Philippe II était d’un seul article dix fois plus riche que lui.

Pour Henri IV, ce n’est pas la peine de comparer ses trésors avec ceux de Philippe II. Jusqu’à la paix de Vervins il n’avait que ce qu’il pouvait emprunter ou gagner à la pointe de son épée ; et il vécut en chevalier errant jusqu’au temps qu’il devint le premier roi de l’Europe.

L’Angleterre avait toujours été si pauvre que le roi Édouard III fut le premier qui fit battre de la monnaie d’or.

On veut savoir ce que devient l’or et l’argent qui affluent continuellement du Mexique et du Pérou en Espagne ? Il entre dans les poches des Français, des Anglais, des Hollandais, qui font le commerce de Cadix sous des noms espagnols, et qui envoient en Amérique les productions de leurs manufactures. Une grande partie de cet argent s’en va aux Indes orientales payer des épiceries, du coton, du salpêtre, du sucre candi, du thé, des toiles, des diamants et des magots.

On demande ensuite ce que deviennent tous ces trésors des Indes ; je réponds que Sha-Thamas-Kouli-kan, ou Sha-Nadir, a emporté tout celui du Grand Mogol avec ses pierreries. Vous voulez savoir où sont ces pierreries, cet or, cet argent que Sha-Nadir a emportés en Perse ? une partie a été enfouie dans la terre pendant les guerres civiles ; des brigands se sont servis de l’autre pour se faire des partis. Car, comme dit fort bien César, « avec de l’argent on a des soldats, et avec des soldats on vole de l’argent ».

Votre curiosité n’est point encore satisfaite ; vous êtes embarrassé de savoir où sont les trésors de Sésostris, de Crésus, de Cyrus, de Nabuchodonosor, et surtout de Salomon, qui avait, dit-on, vingt milliards et plus de nos livres de compte, à lui tout seul, dans sa cassette ?

Je vous dirai que tout cela s’est répandu par le monde. Soyez sûrs que du temps de Cyrus, les Gaules, la Germanie, le Danemark, la Pologne, la Russie, n’avaient pas un écu. Les choses se