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ARISTOTE.

On voit, par ce qu’il dit sur cette matière, qu’il écrivait sa Rhétorique longtemps avant qu’Alexandre fût nommé capitaine général de la Grèce contre le grand roi.

Si quelqu’un, dit-il, avait à prouver aux Grecs qu’il est de leur intérêt de s’opposer aux entreprises du roi de Perse, et d’empêcher qu’il ne se rende maître de l’Égypte, il devrait d’abord faire souvenir que Darius Ochus ne voulut attaquer la Grèce qu’après que l’Égypte fut en sa puissance ; il remarquerait que Xerxès tint la même conduite. Il ne faut point douter, ajouterait-il, que Darius Codoman n’en use ainsi. Gardez-vous de souffrir qu’il s’empare de l’Égypte.

Il va jusqu’à permettre, dans les discours devant les grandes assemblées, les paraboles et les fables. Elles saisissent toujours la multitude ; il en rapporte de très-ingénieuses, et qui sont de la plus haute antiquité : comme celle du cheval qui implora le secours de l’homme pour se venger du cerf, et qui devint esclave pour avoir cherché un protecteur.

On peut remarquer que dans le livre second, où il traite des arguments du plus au moins, il rapporte un exemple qui fait bien voir quelle était l’opinion de la Grèce, et probablement de l’Asie, sur l’étendue de la puissance des dieux.

« S’il est vrai, dit-il, que les dieux mêmes ne peuvent pas tout savoir, quelque éclairés qu’ils soient, à plus forte raison les hommes. » Ce passage montre évidemment qu’on n’attribuait pas alors l’omniscience à la Divinité. On ne concevait pas que les dieux pussent savoir ce qui n’est pas : or l’avenir n’étant pas, il leur paraissait impossible de le connaître. C’est l’opinion des sociniens d’aujourd’hui ; mais revenons à la Rhétorique d’Aristote.

Ce que je remarquerai le plus dans son chapitre de l’élocution et de la diction, c’est le bon sens avec lequel il condamne ceux qui veulent être poètes en prose. Il veut du pathétique, mais il bannit l’enflure ; il proscrit les épithètes inutiles. En effet, Démosthène et Cicéron, qui ont suivi ses préceptes, n’ont jamais affecté le style poétique dans leurs discours. Il faut, dit Aristote, que le style soit toujours conforme au sujet.

Rien n’est plus déplacé que de parler de physique poétiquement, et de prodiguer les figures, les ornements, quand il ne faut que méthode, clarté, et vérité. C’est le charlatanisme d’un homme qui veut faire passer de faux systèmes à la faveur d’un vain bruit de paroles. Les petits esprits sont trompés par cet appât, et les bons esprits le dédaignent.