Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
379
ARMES, ARMÉES.

Dans les temps des chevaliers, écuyers et varlets, on ne connut plus que la gendarmerie à cheval en Allemagne, en France, en Italie, en Angleterre, en Espagne. Cette gendarmerie était couverte de fer, ainsi que les chevaux. Les fantassins étaient des serfs qui faisaient plutôt les fonctions de pionniers que de soldats. Mais les Anglais eurent toujours dans leurs gens de pied de bons archers, et c’est en grande partie ce qui leur fit gagner presque toutes les batailles.

Qui croirait qu’aujourd’hui les armées ne font guère que des expériences de physique ? Un soldat serait bien étonné si quelque savant lui disait : « Mon ami, tu es un meilleur machiniste qu’Archimède. Cinq parties de salpêtre, une partie de soufre, une partie de carbo ligneus, ont été préparées chacune à part. Ton salpêtre dissous, bien filtré, bien évaporé, bien cristallisé, bien remué, bien séché, s’est incorporé avec le soufre purifié, et d’un beau jaune. Ces deux ingrédients, mêlés avec le charbon pilé, ont formé de grosses boules par le moyen d’un peu de vinaigre, ou de dissolution de sel ammoniac, ou d’urine. Ces boules ont été réduites in pulverem pyrium dans un moulin. L’effet de ce mélange est une dilatation qui est à peu près comme quatre mille est à l’unité ; et le plomb qui est dans ton tuyau fait un autre effet qui est le produit de sa masse multipliée par sa vitesse.

« Le premier qui devina une grande partie de ce secret de mathématique fut un bénédictin[1] nommé Roger Bacon. Celui qui l’inventa tout entier fut un autre bénédictin allemand nommé Schwartz, au xive siècle. Ainsi, c’est à deux moines que tu dois l’art d’être un excellent meurtrier, si tu tires juste, et si ta poudre est bonne.

« C’est en vain que Ducange a prétendu qu’en 1338 les registres de la chambre des comptes de Paris font mention d’un mémoire payé pour de la poudre à canon : n’en crois rien, il s’agit là de l’artillerie, nom affecté aux anciennes machines de guerre, et aux nouvelles.

« La poudre à canon fit oublier entièrement le feu grégeois, dont les Maures faisaient encore quelque usage. Te voilà enfin dépositaire d’un art qui non-seulement imite le tonnerre, mais qui est beaucoup plus terrible. »

Ce discours qu’on tiendrait à un soldat serait de la plus grande vérité. Deux moines ont en effet changé la face de la terre.

Avant que les canons fussent connus, les nations hyperborées

  1. Bacon était cordelier : voyez une note, tome XII, page 19.