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AROT ET MAROT, ET ALCORAN.

d’ailes, et d’une aile à l’autre il y avait la distance de cinq cents années de chemin.

« C’est dans cet état que Gabriel se fit voir à mes yeux. Il me poussa, et me dit : « Lève-toi, ô homme endormi. » Je fus saisi de frayeur et de tremblement, et je lui dis en m’éveillant en sursaut : « Qui es-tu ? — Dieu veuille te faire miséricorde. Je suis ton frère Gabriel, me répondit-il. — mon cher bien-aimé Gabriel, lui dis-je, je te demande pardon. Est-ce une révélation de quelque chose de nouveau, ou bien une menace affligeante, que tu viens m’annoncer ? — C’est quelque chose de nouveau, reprit-il ; lève-toi, mon cher et bien-aimé. Attache ton manteau sur tes épaules, tu en auras besoin : car il faut que tu rendes visite à ton Seigneur cette nuit. » En même temps Gabriel me prit par la main ; il me fit lever, et m’ayant fait monter sur la jument Alborac, il la conduisit lui-même par la bride, etc. »

Il est avéré chez les musulmans que ce chapitre, qui n’est d’aucune authenticité, fut imaginé par Abu-Horaïra, qui était, dit-on, contemporain du prophète. Que dirait-on d’un Turc qui viendrait aujourd’hui insulter notre religion, et nous dire que nous comptons parmi nos livres consacrés les Lettres de saint Paul à Sénèque, et les Lettres de Sénèque à Paul, les Actes de Pilate, la Vie de la femme de Pilate, les Lettres du prétendu roi Abgare à Jésus-Christ, et la réponse de Jésus-Christ à ce roitelet, l’Histoire du défi de saint Pierre à Simon le Magicien, les Prédictions des Sibylles, le Testament des douze patriarches, et tant d’autres livres de cette espèce ?

Nous répondrions à ce Turc qu’il est fort mal instruit, et qu’aucun de ces ouvrages n’est regardé par nous comme authentique. Le Turc nous fera la même réponse, quand pour le confondre nous lui reprocherons le voyage de Mahomet dans les sept cieux. Il nous dira que ce n’est qu’une fraude pieuse des derniers temps, et que ce voyage n’est point dans l’Alcoran. Je ne compare point sans doute ici la vérité avec l’erreur, le christianisme avec le mahométisme, l’Évangile avec l’Alcoran ; mais je compare fausse tradition à fausse tradition, abus à abus, ridicule à ridicule.

Ce ridicule a été poussé si loin que Grotius impute à Mahomet d’avoir dit que les mains de Dieu sont froides ; qu’il le sait parce qu’il les a touchées ; que Dieu se fait porter en chaise ; que dans l’arche de Noé le rat naquit de la fiente de l’éléphant, et le chat de l’haleine du lion.