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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/409

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ARRÊTS NOTABLES.

propose que chaque année les deux plus forts gosiers qu’on puisse trouver à Paris et à Toulouse prononcent dans tous les carrefours ces paroles : C’est à pareil jour que cinquante magistrats du conseil rétablirent la mémoire de Jean Calas, d’une voix unanime, et obtinrent pour la famille des libéralités du roi même, au nom duquel Jean Calas avait été injustement condamné au plus horrible supplice[1].

Il ne serait pas mal qu’à la porte de tous les ministres il y eût un autre crieur qui dît, à tous ceux qui viennent demander des lettres de cachet pour s’emparer des biens de leurs parents et alliés, ou dépendants :

Messieurs, craignez de séduire le ministre par de faux exposés, et d’abuser du nom du roi. Il est dangereux de le prendre en vain. Il y a dans le monde un maître Gerbier[2] qui défend la cause de la veuve et de l’orphelin opprimés sous le poids d’un nom sacré. C’est celui-là même qui a obtenu au barreau du parlement de Paris l’abolissement de la Société de Jésus. Écoutez attentivement la leçon qu’il a donnée à la Société de saint Bernard, conjointement avec maître Loiseau, autre protecteur des veuves.

Il faut d’abord que vous sachiez que les révérends pères bernardins de Clervaux possèdent dix-sept mille arpents de bois, sept grosses forges, quatorze grosses métairies, quantité de fiefs, de bénéfices, et même des droits dans les pays étrangers. Le revenu du couvent va jusqu’à deux cent mille livres de rente. Le trésor est immense : le palais abbatial est celui d’un prince ; rien n’est plus juste ; c’est un faible prix des grands services que les bernardins rendent continuellement à l’État.

Il arriva qu’un jeune homme de dix-sept ans, nommé Castille, dont le nom de baptême était Bernard, crut, par cette raison, qu’il devait se faire bernardin ; c’est ainsi qu’on raisonne à dix-sept ans, et quelquefois à trente : il alla faire son noviciat en Lorraine dans l’abbaye d’Orval. Quand il fallut prononcer ses vœux, la grâce lui manqua ; il ne les signa point, s’en alla, et redevint

  1. La mémoire de Calas ayant été réhabilitée en 1765, et le gouvernement ayant accordé à sa famille une indemnité de 36,000 livres, la somme fut ainsi distribuée : 3,000 livres au fils, 6,000 à chacune des filles 3,000 à la domestique. Les frais du procès absorbèrent les 18,000 restant. On voit que sans les célèbres mémoires de Voltaire, qui furent vendus au profit de la famille Calas, et qui rapportèrent une somme considérable, les malheureux enfants de la victime du parlement de Toulouse seraient encore restés dans la misère. (G. A.)
  2. Pierre-Jean-Baptiste Gerbier, avocat célèbre au parlement de Paris, né à Rennes en 1725, mort le 26 mars 1788.