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ARRÊTS NOTABLES.

homme. Il s’établit à Paris, et au bout de trente ans, ayant fait une petite fortune, il se maria et eut des enfants.

Le révérend père procureur de Clervaux, nommé Mayeur, digne procureur, frère de l’abbé, ayant appris à Paris, d’une fille de joie, que ce Castille avait été autrefois bernardin, complote de le revendiquer en qualité de déserteur, quoiqu’il ne fut point réellement engagé ; de faire passer sa femme pour une concubine, et de placer ses enfants à l’hôpital en qualité de bâtards. Il s’associe avec un autre fripon pour partager les dépouilles. Tous deux vont au bureau des lettres de cachet, exposent leurs griefs au nom de saint Bernard, obtiennent la lettre, viennent saisir Bernard Castille, sa femme et leurs enfants, s’emparent de tout le bien, et vont le manger où vous savez.

Bernard Castille est enfermé à Orval dans un cachot où il meurt au bout de six mois de peur qu’il ne demande justice. Sa femme est conduite dans un autre cachot à Sainte-Pélagie, maison de force des filles débordées. De trois enfants l’un meurt à l’hôpital.

Les choses restent dans cet état pendant trois ans. Au bout de ce temps la dame Castille obtient son élargissement. Dieu est juste : il donne un second mari à cette veuve. Ce mari, nommé Launai, se trouve un homme de tête qui développe toutes les fraudes, toutes les horreurs, toutes les scélératesses employées contre sa femme. Ils intentent tous deux un procès aux moines[1]. Il est vrai que frère Mayeur, qu’on appelle dom Mayeur, n’a pas été pendu ; mais le couvent de Clervaux en a été pour quarante mille écus, et il n’y a point de couvent qui n’aime mieux voir pendre son procureur que de perdre son argent.

Que cette histoire vous apprenne, messieurs, à user de beaucoup de sobriété en fait de lettres de cachet. Sachez que maître Élie de Beaumont, ce célèbre défenseur de la mémoire de Calas, et maître Target[2] cet autre protecteur de l’innocence opprimée, ont fait payer vingt mille francs d’amende[3] à celui qui avait arraché par ses intrigues une lettre de cachet pour faire enlever la comtesse

  1. L’arrêt est de 1764. (Note de Voltaire.)
  2. Maître Target fut envoyé en 1789 aux états généraux par la prévôté de Paris. Il fut un des principaux rédacteurs de l’acte constitutionnel de 1791 ; en 1792, il refusa de défendre Louis XVI en se déclarant républicain, et devint, en 1793, le secrétaire du comité révolutionnaire de la section du Marais, sur laquelle était situé son hôtel (rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie). (G. A.)
  3. L’arrêt est de 1770. Il y a d’autres arrêts pareils prononcés par les parlements des provinces. (Note de Voltaire.)