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ART DRAMATIQUE.

« Voilà qui est naturel, dit-il, c’est ainsi qu’un soldat doit répondre. » Oui, monsieur le juge, dans un corps de garde, mais non pas dans une tragédie : sachez que les Français, contre lesquels vous vous déchaînez, admettent le simple, et non le bas et le grossier. Il faut être bien sûr de la bonté de son goût avant de le donner pour loi ; je plains les plaideurs, si vous les jugez comme vous jugez les vers. Quittons vite son audience pour revenir à Iphigénie.

Est-il un homme de bon sens, et d’un cœur sensible, qui n’écoute le récit d’Agamemnon avec un transport mêlé de pitié et de crainte, qui ne sente les vers de Racine pénétrer jusqu’au fond de son âme ? L’intérêt, l’inquiétude, l’embarras, augmentent dès la troisième scène, quand Agamemnon se trouve entre Achille et Ulysse.

La crainte, cette âme de la tragédie, redouble encore à la scène qui suit. C’est Ulysse qui veut persuader Agamemnon, et immoler Iphigénie à l’intérêt de la Grèce. Ce personnage d’Ulysse est odieux ; mais, par un art admirable, Racine sait le rendre intéressant.

Je suis père, seigneur, et faible comme un autre ;
Mon cœur se met sans peine en la place du vôtre ;
Et, frémissant du coup qui vous fait soupirer.
Loin de blâmer vos pleurs, je suis près de pleurer.

(Acte I, scène v.)

Dès ce premier acte Iphigénie est condamnée à la mort, Iphigénie qui se flatte avec tant de raison d’épouser Achille : elle va être sacrifiée sur le même autel où elle doit donner la main à son amant.

 
 Nubendi tempore in ipso.
 

Tantum relligio potuit suadere malorum !

(Lucr., lib. I, v. 102.)

Deuxième acte d’iphigénie.

C’est avec une adresse bien digne de lui que Racine, au second acte, fait paraître Ériphile avant qu’on ait vu Iphigénie. Si l’amante aimée d’Achille s’était montrée la première, on ne pourrait souffrir Ériphile sa rivale. Ce personnage est absolument nécessaire à la pièce, puisqu’il en fait le dénoûment ; il en fait