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ASMODÉE.

naissez pas, sire, cette race d’animaux ; elle est chassée de vos États, aussi bien que de ceux de l’impératrice de Russie, du roi de Suède et du roi de Danemark, mes autres protecteurs. L’ex-jésuite Paulian et l’ex-jésuite Nonotte, qui cultivent, comme moi, les beaux-arts, ne cessent de me persécuter jusqu’au mont Crapack ; ils m’accablent sous le poids de leur crédit, et sous celui de leur génie, qui est encore plus pesant. Si Votre Majesté ne daigne pas me secourir contre ces grands hommes, je suis anéanti.


ASMODÉE[1].


Aucun homme versé dans l’antiquité n’ignore que les Juifs ne connurent les anges que par les Perses et les Chaldéens, pendant la captivité. C’est là qu’ils apprirent, selon dom Calmet, qu’il y a sept anges principaux devant le trône du Seigneur. Ils y apprirent aussi les noms des diables. Celui que nous nommons Asmodée s’appelait Hashmodai, ou Chammadai. « On sait, dit Calmet[2], qu’il y a des diables de plusieurs sortes : les uns sont princes et maîtres démons, les autres subalternes et sujets. »

Comment cet Hashmodai était-il assez puissant pour tordre le cou à sept jeunes gens qui épousèrent successivement la belle Sara, native de Ragès, à quinze lieues d’Ecbatane ? Il fallait que les Mèdes fussent sept fois plus manichéens que les Perses. Le bon principe donne un mari à cette fille, et voilà le mauvais principe, cet Hashmodai, roi des démons, qui détruit sept fois de suite l’ouvrage du principe bienfaisant.

Mais Sara était juive, fille de Raguel le juif, captive dans le pays d’Ecbatane. Comment un démon mède avait-il tant de pouvoir sur des corps juifs ? C’est ce qui a fait penser qu’Asmodée-Chammadai était juif aussi ; que c’était l’ancien serpent qui avait séduit Eve ; qu’il aimait passionnément les femmes ; que tantôt il les trompait, et tantôt il tuait leurs maris par un excès d’amour et de jalousie.

En effet, le livre de Tobie nous fait entendre, dans la version grecque, qu’Asmodée était amoureux de Sara : ὄτι δαιμόνιον ϕιλεῖ αὐτὴν. C’est l’opinion de toute la savante antiquité que les génies, bons ou mauvais, avaient beaucoup de penchant pour nos filles, et les fées pour nos garçons. L’Écriture même, se proportionnant

  1. Questions sur l’Encyclopédie, deuxième partie, 1770. (B.)
  2. Dom Calmet, Dissertation sur Tobie, page 205. (Note de Voltaire.)