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ARTS, BEAUX-ARTS.

bouillie ; et ces vainqueurs de tant de nations ne connurent jamais ni les moulins à vent, ni les moulins à eau. Cette vérité semble d’abord contredire l’antiquité du globe tel qu’il est, ou suppose de terribles révolutions dans ce globe. Des inondations de barbares ne peuvent guère anéantir des arts devenus nécessaires. Je suppose qu’une armée de nègres vienne chez nous, comme des sauterelles, des montagnes de Cobonas, par le Monomotapa, par le Monoëmugi, les Nosseguais, les Maracates ; qu’ils aient traversé l’Abyssinie, la Nubie, l’Égypte, la Syrie, l’Asie-Mineure, toute notre Europe ; qu’ils aient tout renversé, tout saccagé ; il restera toujours quelques boulangers, quelques cordonniers, quelques tailleurs, quelques charpentiers ; les arts nécessaires subsisteront ; il n’y aura que le luxe d’anéanti. C’est ce qu’on vit à la chute de l’empire romain : l’art de l’écriture même devint très-rare ; presque tous ceux qui contribuent à l’agrément de la vie ne renaquirent que longtemps après. Nous en inventons tous les jours de nouveaux.

De tout cela on ne peut rien conclure au fond contre l’antiquité du globe. Car supposons même qu’une inondation de barbares nous eût fait perdre entièrement jusqu’à l’art d’écrire et de faire le pain ; supposons encore plus, que nous n’avons que depuis dix ans du pain, des plumes, de l’encre et du papier ; le pays qui a pu subsister dix ans sans manger de pain et sans écrire ses pensées aurait pu passer un siècle et cent mille siècles sans ces secours.

Il est très-clair que l’homme et les autres animaux peuvent très-bien subsister sans boulangers, sans romanciers et sans théologiens, témoin toute l’Amérique, témoin les trois quarts de notre continent.

La nouveauté des arts parmi nous ne prouve donc point la nouveauté du globe, comme le prétendait Épicure, l’un de nos prédécesseurs en rêveries, qui supposait que par hasard les atomes éternels, en déclinant, avaient formé un jour notre terre. Pomponace disait : « Se il mondo non è eterno, per tutti santi è molto vecchio. »

Des petits inconvénients attachés aux arts.

Ceux qui manient le plomb et le mercure sont sujets à des coliques dangereuses et à des tremblements de nerfs très-fàcheux. Ceux qui se servent de plumes et d’encre sont attaqués d’une vermine qu’il faut continuellement secouer : cette vermine est celle de quelques ex-jésuites qui font des libelles. Vous ne con-