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ASPHALTE ET SODOME.

tants ? tous les puits sont saumâtres : on trouve l’asphalte et un sel corrosif, dès qu’on creuse la terre.

On répondra que quelques Arabes y habitent encore, et qu’ils peuvent être habitués à boire de très-mauvaise eau ; que Sodome et Gomorrhe dans le Bas-Empire étaient de méchants hameaux, et qu’il y eut dans ce temps-là beaucoup d’évêques dont tout le diocèse consistait en un pauvre village. On peut dire encore que les colons de ces villages préparaient l’asphalte, et en faisaient un commerce utile.

Ce désert aride et brûlant qui s’étend de Segor jusqu’au territoire de Jérusalem produit du baume et des aromates, par la même raison qu’il fournit du naphte, du sel corrosif, et du soufre.

On prétend que les pétrifications se font dans ce désert avec une rapidité surprenante. C’est ce qui rend très-plausible, selon quelques physiciens, la pétrification d’Édith, femme de Loth.

Mais il est dit[1] que cette femme, « ayant regardé derrière elle, fut changée en statue de sel » ; ce n’est donc pas une pétrification naturelle opérée par l’asphalte et le sel : c’est un miracle évident. Flavius Josèphe dit[2] qu’il a vu cette statue. Saint Justin et saint Irénée en parlent comme d’un prodige qui subsistait encore de leur temps.

On a regardé ces témoignages comme des fables ridicules. Cependant il est très-naturel que quelques Juifs se fussent amusés à tailler un monceau d’asphalte en une figure grossière, et on aura dit : C’est la femme de Loth. J’ai vu des cuvettes d’asphalte très-bien faites qui pourront longtemps subsister ; mais il faut avouer que saint Irénée va un peu loin quand il dit[3] : « La femme de Loth resta dans le pays de Sodome, non plus en chair corruptible, mais en statue de sel permanente, et montrant par ses parties naturelles les effets ordinaires. — Uxor remansit in Sodomis, jam non caro corruptibilis, sed statua salis semper manens, et per naturalia ea quæ sunt consuetudinis hominis ostendens. »

Saint Irénée ne semble pas s’exprimer avec toute la justesse d’un bon naturaliste, en disant : La femme de Loth n’est plus de la chair corruptible, mais elle a ses règles.

Dans le Poëme de Sodome, dont on dit Tertullien auteur, on s’exprime encore plus énergiquement :

  1. Genèse, xix, 26.
  2. Antiq., livre I, chapitre ii. (Note de Voltaire.)
  3. Livre IV, chapitre ii. (Id.)