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ATHÉISME.

Les ambitieux, les voluptueux, n’ont guère le temps de raisonner, et d’embrasser un mauvais système : ils ont autre chose à faire qu’à comparer Lucrèce avec Socrate, C’est ainsi que vont les choses parmi nous.

Il n’en était pas ainsi du sénat de Rome, qui était presque tout composé d’athées de théorie et de pratique, c’est-à-dire qui ne croyaient ni à la Providence ni à la vie future ; ce sénat était une assemblée de philosophes, de voluptueux et d’ambitieux, tous très-dangereux, et qui perdirent la république. L’épicuréisme subsista sous les empereurs : les athées du sénat avaient été des factieux dans les temps de Sylla et de César ; ils furent sous Auguste et Tibère des athées esclaves.

Je ne voudrais pas avoir affaire à un prince athée, qui trouverait son intérêt à me faire piler dans un mortier : je suis bien sûr que je serais pilé. Je ne voudrais pas, si j’étais souverain, avoir affaire à des courtisans athées, dont l’intérêt serait de m’empoisonner : il me faudrait prendre au hasard du contre-poison tous les jours. Il est donc absolument nécessaire pour les princes et pour les peuples que l’idée d’un Être suprême, créateur, gouverneur, rémunérateur et vengeur, soit profondément gravée dans les esprits.

[1] Il y a des peuples athées, dit Bayle dans ses Pensées sur les comètes[2]. Les Cafres, les Hottentots, les Topinambous, et beaucoup d’autres petites nations, n’ont point de Dieu : ils ne le nient ni ne l’affirment ; ils n’en ont jamais entendu parler. Dites-leur qu’il y en a un, ils le croiront aisément ; dites-leur que tout se fait par la nature des choses, ils vous croiront de même. Prétendre qu’ils sont athées est la même imputation que si l’on disait qu’ils sont anti-cartésiens ; ils ne sont ni pour ni contre Descartes. Ce sont de vrais enfants : un enfant n’est ni athée ni déiste, il n’est rien.

Quelle conclusion tirerons-nous de tout ceci ? Que l’athéisme est un monstre très-pernicieux dans ceux qui gouvernent ; qu’il l’est aussi dans les gens de cabinet, quoique leur vie soit innocente, parce que de leur cabinet ils peuvent percer jusqu’à ceux qui sont en place ; que, s’il n’est pas si funeste que le fanatisme,

  1. Cet alinéa et les deux suivants sont cités dans les Remontrances à A.-J. Bustan, paragraphe v (Mélanges, année 1768).
  2. L’ouvrage de Bayle est intitulé Pensées diverses écrites à un docteur de Sorbonne à l’occasion de la comète qui parut au mois de décembre 1680 : Rotterdam, 1721 ; 4 volumes in-12. C’est dans le paragraphe 118 de la Continuation qu’il parle d’une société d’athées. Voyez aussi le chapitre xii de sa Réponse aux Questions d’un provincial. (B.)