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ATOMES.


ATOMES[1].


Épicure, aussi grand génie qu’homme respectable par ses mœurs, qui a mérité que Gassendi prît sa défense ; après Épicure, Lucrèce, qui força la langue latine à exprimer les idées philosophiques, et (ce qui attira l’admiration de Rome) à les exprimer en vers ; Épicure et Lucrèce, dis-je, admirent les atomes et le vide : Gassendi soutint cette doctrine, et Newton la démontra. En vain un reste de cartésianisme combattait pour le plein ; en vain Leibnitz, qui avait d’abord adopté le système raisonnable d’Épicure, de Lucrèce, de Gassendi et de Newton, changea d’avis sur le vide, quand il fut brouillé avec Newton son maître : le plein est aujourd’hui regardé comme une chimère. Boileau, qui était un homme de très-grand sens, a dit avec beaucoup de raison (épître v, v. 31-32) :

Que Rohault vainement sèche pour concevoir
Comment, tout étant plein, tout a pu se mouvoir.

Le vide est reconnu : on regarde les corps les plus durs comme des cribles ; et ils sont tels en effet. On admet des atomes, des principes insécables, inaltérables, qui constituent l’immutabilité des éléments et des espèces ; qui font que le feu est toujours feu, soit qu’on l’aperçoive, soit qu’on ne l’aperçoive pas ; que l’eau est toujours eau, la terre toujours terre, et que les germes imperceptibles qui forment l’homme ne forment point un oiseau.

Épicure et Lucrèce avaient déjà établi cette vérité, quoique noyée dans les erreurs. Lucrèce dit en parlant des atomes (liv. I, v. 575) :

Sunt igitur solida pollentia simplicitate.

Le soutien de leur être est la simplicité.

Sans ces éléments d’une nature immuable, il est à croire que l’univers ne serait qu’un chaos : et en cela Épicure et Lucrèce paraissent de vrais philosophes.

Leurs intermèdes, qu’on a tant tournés en ridicule, ne sont autre chose que l’espace non résistant dans lequel Newton a démontré que les planètes parcourent leurs orbites dans des

  1. Questions sur l’Encyclopédie, deuxième partie, 1770. (B.)