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AUSTÉRITÉS.

qui porte son nom, parce qu’elle élève son sommet dans les nues ; et les nues ont été nommées le ciel par tous les hommes qui n’ont jugé des choses que sur le rapport de leurs yeux.

Ces mêmes Maures cultivèrent les sciences avec succès, et enseignèrent l’Espagne et l’Italie pendant plus de cinq siècles. Les choses sont bien changées. Le pays de saint Augustin n’est plus qu’un repaire de pirates. L’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, la France, qui étaient plongées dans la barbarie, cultivent les arts mieux que n’ont jamais fait les Arabes.

Nous ne voulons donc, dans cet article, que faire voir combien ce monde est un tableau changeant. Augustin, débauché, devient orateur et philosophe. Il se pousse dans le monde ; il est professeur de rhétorique ; il se fait manichéen ; du manichéisme il passe au christianisme. Il se fait baptiser avec un de ses bâtards nommé Deodatus ; il devient évêque ; il devient Père de l’Église. Son système sur la grâce est respecté onze cents ans comme un article de foi. Au bout d’onze cents ans, des jésuites trouvent moyen de faire anathématiser le système de saint Augustin mot pour mot, sous le nom de Jansénius, de Saint-Cyran, d’Arnauld, de Quesnel[1]. Nous demandons si cette révolution dans son genre n’est pas aussi grande que celle de l’Afrique, et s’il y a rien de permanent sur la terre.


AUSTÉRITÉS.
Mortifications, flagellations[2].

Que des hommes choisis, amateurs de l’étude, se soient unis après mille catastrophes arrivées au monde ; qu’ils se soient occupés d’adorer Dieu, et de régler les temps de l’année, comme on le dit des anciens brachmanes et des mages, il n’est rien là que de bon et d’honnête. Ils ont pu être en exemple au reste de la terre par une vie frugale ; ils ont pu s’abstenir de toute liqueur enivrante, et du commerce avec leurs femmes, quand ils célébrèrent des fêtes. Ils durent être vêtus avec modestie et décence. S’ils furent savants, les autres hommes les consultèrent ; s’ils furent justes, on les respecta et on les aima ; mais la superstition, la gueuserie, la vanité, ne se mirent-elles pas bientôt à la place des vertus ?

  1. Voyez Grâce. (Note de Voltaire.)
  2. Questions sur l’Encyclopédie, deuxième partie, 1770. (B.)