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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/534

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BABEL.

présentaient à eux sans rougir, dans l’espérance d’obtenir par là une plus heureuse délivrance ».

Premièrement, il n’est point dit que les Romains de qualité courussent tout nus : Plutarque, au contraire, dit expressément, dans ses Demandes sur les Romains, qu’ils étaient couverts de la ceinture en bas.

Secondement, il semble, à la manière dont s’exprime le défenseur des coutumes infâmes, que les dames romaines se troussaient pour recevoir des coups de fouet sur le ventre nu, ce qui est absolument faux.

Troisièmement, cette fête des Lupercales n’a aucun rapport à la prétendue loi de Babylone, qui ordonne aux femmes et aux filles du roi, des satrapes et des mages, de se vendre et de se prostituer par dévotion aux passants.

Quand on ne connaît ni l’esprit humain, ni les mœurs des nations ; quand on a le malheur de s’être borné à compiler des passages de vieux auteurs, qui presque tous se contredisent, il faut alors proposer son sentiment avec modestie ; il faut savoir douter, secouer la poussière du collège, et ne jamais s’exprimer avec une insolence outrageuse.

Hérodote, ou Ctésias, ou Diodore de Sicile, rapportent un fait ; vous l’avez lu en grec : donc ce fait est vrai. Cette manière de raisonner n’est pas celle d’Euclide ; elle est assez surprenante dans le siècle où nous vivons ; mais tous les esprits ne se corrigeront pas sitôt ; et il y aura toujours plus de gens qui compilent que de gens qui pensent.

Nous ne dirons rien ici de la confusion des langues arrivée tout d’un coup pendant la construction de la tour de Babel. C’est un miracle rapporté dans la sainte Écriture. Nous n’expliquons, nous n’examinons même aucun miracle : nous les croyons d’une foi vive et sincère, comme tous les auteurs du grand ouvrage de l’Encyclopédie les ont crus.

Nous dirons seulement que la chute de l’empire romain a produit plus de confusion et plus de langues nouvelles que la chute de la tour de Babel. Depuis le règne d’Auguste jusque vers le temps des Attila, des Clodivic, des Gondebaud, pendant six siècles, terra erat unius labii[1], la terre connue de nous était d’une seule langue. On parlait latin de l’Euphrate au mont Atlas. Les lois sous lesquelles vivaient cent nations étaient écrites en latin, et le grec servait d’amusement ; le jargon barbare de chaque province

  1. Genèse, chapitre xi, v. i.