Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/578

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
558
BEAU.

-toi...» de celle-ci de Confucius : « Oublie les injures, n’oublie jamais les bienfaits. »

Le nègre aux yeux ronds, au nez épaté, qui ne donnera pas aux dames de nos cours le nom de belles, le donnera sans hésiter à ces actions et à ces maximes. Le méchant homme même reconnaîtra la beauté des vertus qu’il n’ose imiter. Le beau qui ne frappe que les sens, l’imagination, et ce qu’on appelle l’esprit, est donc souvent incertain ; le beau qui parle au cœur ne l’est pas. Vous trouverez une foule de gens qui vous diront qu’ils n’ont rien trouvé de beau dans les trois quarts de l’Iliade ; mais personne ne vous niera que le dévouement de Codrus pour son peuple ne soit fort beau, supposé qu’il soit vrai.

Le frère Attiret, jésuite, natif de Dijon[1] était employé comme dessinateur dans la maison de campagne de l’empereur Kang-hi, à quelques lis de Pékin[2].

Cette maison des champs, dit-il dans une de ses lettres à M. Dassaut, est plus grande que la ville de Dijon ; elle est partagée en mille corps de logis, sur une même ligne ; chacun de ces palais a ses cours, ses parterres, ses jardins et ses eaux ; chaque façade est ornée d’or, de vernis et de peintures. Dans le vaste enclos du parc on a élevé à la main des collines hautes de vingt jusqu’à soixante pieds. Les vallons sont arrosés d’une infinité de canaux qui vont au loin se rejoindre pour former des étangs et des mers. On se promène sur ces mers dans des barques vernies et dorées de douze à treize toises de long sur quatre de large. Ces barques portent des salons magnifiques ; et les bords de ces canaux, de ces mers et de ces étangs, sont couverts de maisons, toutes dans des goûts différents. Chaque maison est accompagnée de jardins et de cascades. On va d’un vallon dans un autre par des allées tournantes, ornées de pavillons et de grottes. Aucun vallon n’est semblable ; le plus vaste de tous est entouré d’une colonnade, derrière laquelle sont des bâtiments dorés. Tous les appartements de ces maisons répondent à la magnificence du dehors ; tous les canaux ont des ponts de distance en distance ; ces ponts sont bordés de balustrades de marbre blanc sculptées en bas-relief.

Au milieu de la grande mer on a élevé un rocher, et sur ce rocher un pavillon carré, où l’on compte plus de cent apparte-

  1. Il était de Dôle, en Franche-Comté. (B.)
  2. C’est le fameux palais d’été qui fut pillé en 1800 par les Anglais et les Français. (G. A.)