Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
563
BEKKER.

concerne la nature, ou en quoi consiste l’être d’un esprit... La Bible n’est pas faite pour les anges, mais pour les hommes. Jésus n’a pas été fait ange pour nous, mais homme. »

Si Bekker a tant de scrupule sur les anges, il n’est pas étonnant qu’il en ait sur les diables ; et c’est une chose assez plaisante de voir toutes les contorsions où il met son esprit pour se prévaloir des textes qui lui semblent favorables, et pour éluder ceux qui lui sont contraires.

Il fait tout ce qu’il peut pour prouver que le diable n’eut aucune part aux afflictions de Job, et en cela il est plus prolixe que les amis mêmes de ce saint homme.

Il y a grande apparence qu’on ne le condamna que par le dépit d’avoir perdu son temps à le lire ; et je suis persuadé que si le diable lui-même avait été forcé de lire le Monde enchanté de Bekker, il n’aurait jamais pu lui pardonner de l’avoir si prodigieusement ennuyé.

Un des plus grands embarras de ce théologien hollandais est d’expliquer ces paroles[1] : « Jésus fut transporté par l’esprit au désert pour être tenté par le diable, par le Knath-bull. » Il n’y a point de texte plus formel. Un théologien peut écrire contre Belzébuth tant qu’il voudra ; mais il faut de nécessité qu’il l’admette, après quoi il expliquera les textes difficiles comme il pourra.

Que si on veut savoir précisément ce que c’est que le diable, il faut s’en informer chez le jésuite Schotus ; personne n’en a parlé plus au long : c’est bien pis que Bekker.

En ne consultant que l’histoire, l’ancienne origine du diable est dans la doctrine des Perses : Hariman ou Arimane, le mauvais principe, corrompt tout ce que le bon principe a fait de salutaire. Chez les Égyptiens, Typhon fait tout le mal qu’il peut, tandis qu’Oshireth, que nous nommons Osiris, fait, avec Isheth ou Isis, tout le bien dont il est capable.

Avant les Égyptiens et les Perses[2], Moizazor chez les Indiens s’était révolté contre Dieu, et était devenu le diable ; mais enfin Dieu lui avait pardonné. Si Bekker et les sociniens avaient su cette anecdote de la chute des anges indiens et de leur rétablissement, ils en auraient bien profité pour soutenir leur opinion que l’enfer n’est pas perpétuel, et pour faire espérer leur grâce aux damnés qui liront leurs livres.

  1. Matthieu, iv, 1.
  2. Voyez Brachmanes. (Note de Voltaire.)