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BIEN ET MAL, PHYSIQUE ET MORAL.

un socinien ; que n’a-t-il fait parler un homme raisonnable ? que Bayle n’a-t-il parlé lui-même ? il aurait dit bien mieux que nous ce que nous allons hasarder.

Un père qui tue ses enfants est un monstre ; un roi qui fait tomber dans le piège ses sujets, pour avoir un prétexte de les livrer à des supplices, est un tyran exécrable. Si vous concevez dans Dieu la même bonté que vous exigez d’un père, la même justice que vous exigez d’un roi, plus de ressource pour disculper Dieu : et en lui donnant une sagesse et une bonté infinies, vous le rendez infiniment odieux ; vous faites souhaiter qu’il n’existe pas, vous donnez des armes à l’athée, et l’athée sera toujours en droit de vous dire : Il vaut mieux ne point reconnaître de Divinité que de lui imputer précisément ce que vous puniriez dans les hommes.

Commençons donc par dire : Ce n’est pas à nous à donner à Dieu les attributs humains, ce n’est pas à nous à faire Dieu à notre image. Justice humaine, bonté humaine, sagesse humaine, rien de tout cela ne lui peut convenir. On a beau étendre à l’infini ces qualités, ce ne seront jamais que des qualités humaines dont nous reculons les bornes ; c’est comme si nous donnions à Dieu la solidité infinie, le mouvement infini, la rondeur, la divisibilité infinie. Ces attributs ne peuvent être les siens.

La philosophie nous apprend que cet univers doit avoir été arrangé par un être incompréhensible, éternel, existant par sa nature ; mais, encore une fois, la philosophie ne nous apprend pas les attributs de cette nature. Nous savons ce qu’il n’est pas, et non ce qu’il est.

Point de bien ni de mal pour Dieu, ni en physique, ni en moral.

Qu’est-ce que le mal physique ? De tous les maux le plus grand sans doute est la mort. Voyons s’il était possible que l’homme eût été immortel.

Pour qu’un corps tel que le nôtre fût indissoluble, impérissable, il faudrait qu’il ne fût point composé de parties ; il faudrait qu’il ne naquît point, qu’il ne prît ni nourriture ni accroissement, qu’il ne pût éprouver aucun changement. Qu’on examine toutes ces questions, que chaque lecteur peut étendre à son gré, et l’on verra que la proposition de l’homme immortel est contradictoire.

Si notre corps organisé était immortel, celui des animaux le serait aussi : or, il est clair qu’en peu de temps le globe ne pourrait suffire à nourrir tant d’animaux ; ces êtres immortels,