Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
ADAM.

voulu expliquer l’origine du mal moral et du mal physique par des idées à peu près semblables. Les Chaldéens, les Indiens, les Perses, les Égyptiens, ont également rendu compte de ce mélange de bien et de mal qui semble être l’apanage de notre globe. Les Juifs sortis d’Égypte y avaient entendu parler, tout grossiers qu’ils étaient, de la philosophie allégorique des Égyptiens. Ils mêlèrent depuis à ces faibles connaissances celles qu’ils puisèrent chez les Phéniciens et les Babyloniens dans un très long esclavage ; mais comme il est naturel et très ordinaire qu’un peuple grossier imite grossièrement les imaginations d’un peuple poli, il n’est pas surprenant que les Juifs aient imaginé une femme formée de la côte d’un homme ; l’esprit de vie soufflé de la bouche de Dieu au visage d’Adam ; le Tigre, l’Euphrate, le Nil et l’Oxus, ayant la même source dans un jardin ; et la défense de manger d’un fruit, défense qui a produit la mort aussi bien que le mal physique et moral. Pleins de l’idée répandue chez les anciens, que le serpent est un animal très subtil, ils n’ont pas fait difficulté de lui accorder l’intelligence et la parole.

Ce peuple, qui n’était alors répandu que dans un petit coin de la terre, et qui la croyait longue, étroite et plate, n’eut pas de peine à croire que tous les hommes venaient d’Adam, et ne pouvait pas savoir que les Nègres, dont la conformation est différente de la nôtre, habitaient de vastes contrées. Il était bien loin de deviner l’Amérique[1].

Au reste, il est assez étrange qu’il fût permis au peuple juif de lire l’Exode, où il y a tant de miracles qui épouvantent la raison, et qu’il ne fût pas permis de lire avant vingt-cinq ans le premier chapitre de la Genèse, où tout doit être nécessairement miracle, puisqu’il s’agit de la création. C’est peut-être à cause de la manière singulière dont l’auteur s’exprime dès le premier verset : (« au commencement les dieux[2] firent le ciel et la terre » ; on put craindre que les jeunes Juifs n’en prissent occasion d’adorer plusieurs dieux. C’est peut-être parce que Dieu, ayant créé l’homme et la femme au premier chapitre, les refait encore au deuxième, et qu’on ne voulut pas mettre cette apparence de contradiction sous les yeux de la jeunesse. C’est peut-être parce qu’il est dit que « les dieux firent l’homme à leur image », et que ces expres-

  1. Voyez Amérique.
  2. Les dieux : c’est l’exacte traduction du mot Elohim. On cite souvent ce mot pour prouver que la langue hébraïque avait appartenu d’abord à un peuple polythéiste. (G. A.)