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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/87

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ADULTÈRE.

naient à la république, et non à une maison particulière ; ainsi on ne faisait tort à personne. L’adultère n’est un mal qu’autant qu’il est un vol ; mais on ne vole point ce qu’on vous donne. Un mari priait souvent un jeune homme beau, bien fait et vigoureux, de vouloir bien faire un enfant à sa femme. Plutarque nous à conservé dans son vieux style la chanson que chantaient les Lacédémoniens quand Acrotatus allait se coucher avec la femme de son ami :


Allez, gentil Acrotatus, besognez bien Kélidonide,
Donnez de braves citoyens à Sparte[1].


Les Lacédémoniens avaient donc raison de dire que l’adultère était impossible parmi eux.

Il n’en est pas ainsi chez nos nations, dont toutes les lois sont fondées sur le tien et le mien.

Un des plus grands désagréments de l’adultère chez nous, c’est que la dame se moque quelquefois de son mari avec son amant ; le mari s’en doute, et on n’aime point à être tourné en ridicule. Il est arrivé dans la bourgeoisie que souvent la femme a volé son mari pour donner à son amant; les querelles de ménage sont poussées à des excès cruels : elles sont heureusement peu connues dans la bonne compagnie.

Le plus grand tort, le plus grand mal est de donner à un pauvre homme des enfants qui ne sont pas à lui, et de le charger d’un fardeau qu’il ne doit pas porter. On a vu par là des races de héros entièrement abâtardies. Les femmes des Astolphes et des Jocondes, par un goût dépravé, par la faiblesse du moment, ont fait des enfants avec un nain contrefait, avec un petit valet sans cœur et sans esprit. Les corps et les âmes s’en sont ressentis. De petits singes ont été les héritiers des plus grands noms dans quelques pays de l’Europe. Ils ont dans leur première salle les portraits de leurs prétendus aïeux, hauts de six pieds, beaux, bien faits, armés d’un estramaçon que la race d’aujourd’hui pourrait à peine soulever. Un emploi important est possédé par un homme qui n’y a nul droit, et dont le cœur, la tête et le bras, n’en peuvent soutenir le faix.

Il y a quelques provinces en Europe où les filles font volontiers l’amour, et deviennent ensuite des épouses assez sages. C’est tout le contraire en France : on enferme les filles dans des couvents,

  1. Voyez Plutarque, vie de Pyrrhus, chapitre xxxviii. (B.)