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CHAÎNE OU GÉNÉRATION DES ÉVÉNEMENTS.

quarante fois plus petite que notre globe. Quand vous avez voyagé de la Lune dans le vide, vous trouvez Vénus ; elle est environ aussi grosse que la terre. De là vous allez chez Mercure ; il tourne dans une ellipse qui est fort différente du cercle que parcourt Vénus ; il est vingt-sept fois plus petit que nous, le Soleil un million de fois plus gros, Mars cinq fois plus petit ; celui-là fait son tour en deux ans, Jupiter son voisin en douze, Saturne en trente ; et encore Saturne, le plus éloigné de tous, n’est pas si gros que Jupiter. Où est la gradation prétendue ?

Et puis, comment voulez-vous que dans de grands espaces vides il y ait une chaîne qui lie tout ? S’il y en a une, c’est certainement celle que Newton a découverte ; c’est elle qui fait graviter tous les globes du monde planétaire les uns vers les autres dans ce vide immense.

Platon tant admiré ! j’ai peur que vous ne nous ayez conté que des fables, et que vous n’ayez jamais parlé qu’en sophismes.

Platon ! vous avez fait bien plus de mal que vous ne croyez. Comment cela ? me demandera-t-on : je ne le dirai pas.



CHAÎNE ou GÉNÉRATION


DES ÉVÉNEMENTS.[1]


Le présent accouche, dit-on, de l’avenir. Les événements sont enchaînés les uns aux autres par une fatalité invincible ; c’est le destin qui, dans Homère, est supérieur à Jupiter même. Ce maître des dieux et des hommes déclare net qu’il ne peut empêcher Sarpédon son fils de mourir dans le temps marqué. Sarpédon était né dans le moment qu’il fallait qu’il naquît, et ne pouvait pas naître dans un autre ; il ne pouvait mourir ailleurs que devant Troie ; il ne pouvait être enterré ailleurs qu’en Lycie ; son corps devait dans le temps marqué produire des légumes qui devaient se changer dans la substance de quelques Lyciens ; ses héritiers devaient établir un nouvel ordre dans ses États ; ce nouvel ordre devait influer sur les royaumes voisins ; il en résultait un nouvel arrangement de guerre et de paix avec les voisins des voisins de la Lycie : ainsi de proche en proche la destinée de toute la terre a dépendu de la mort de Sarpédon, laquelle dépendait de l’en-

  1. Dans l’édition de 1764 du Dictionnaire philosophique, cet article commençait ainsi : Il y a longtemps qu’on a prétendu que tous les événements sont enchaînés, etc. (B.)