Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
CLOU.

-Denis avait servi pour les pieds, et qu’il devait être plus grand que celui des mains. Il fallait pourtant que ceux des mains fussent assez grands et assez forts pour soutenir tout le poids du corps. Mais il faut que les Juifs aient employé plus de quatre clous, ou que quelques-uns de ceux qu’on expose à la vénération des fidèles ne soient pas bien authentiques : car l’histoire rapporte que sainte Hélène en jeta un dans la mer pour apaiser une tempête furieuse qui agitait son vaisseau. Constantin se servit d’un autre pour faire le mors de la bride de son cheval. On en montre un tout entier à Saint-Denis en France, et un autre aussi tout entier à Sainte-Croix de Jérusalem à Rome. Un auteur romain de notre siècle, très-célèbre, assure que la couronne de fer dont on couronne les empereurs en Italie est faite d’un de ces clous. On voit à Rome et à Carpentras deux mors de bride aussi faits de ces clous, et on en fait voir encore en d’autres endroits. Il est vrai qu’on a la discrétion de dire de quelques-uns, tantôt que c’est la pointe, et tantôt que c’est la tête. »

Le missionnaire parle sur le même ton de toutes les reliques. Il dit au même endroit que lorsqu’on apporta de Jérusalem à Rome le corps du premier diacre saint Étienne, et qu’on le mit dans le tombeau du diacre saint Laurent, en 557, « saint Laurent se retira de lui-même pour donner la droite à son hôte ; action qui lui acquit le surnom de civil Espagnol[1] ».

Ne faisons sur ces passages qu’une réflexion, c’est que si quelque

  1. Ce même missionnaire Labat, frère pêcheur, provéditeur du saint-office, qui ne manque pas une occasion de tomber rudement sur les reliques et sur les miracles des autres moines, ne parle qu’avec une noble assurance de tous les prodiges et de toutes les prééminences de l’ordre de saint Dominique. Nul écrivain monastique n’a jamais poussé si loin la vigueur de l’amour-propre conventuel. Il faut voir comme il traite les bénédictins et le P. Martène. « * Ingrats bénédictins !... Ah ! Père !... noire ingratitude que toute l’eau du déluge ne peut effacer !... vous enchérissez sur les Lettres provinciales, et vous retenez le bien des jacobins !... Tremblez, révérends bénédictins de la congrégation de Saint-Vannes... Si P. Martène n’est pas content, il n’a qu’à parler. »

    C’est bien pis quand il punit le très-judicieux et très-plaisant voyageur Misson de n’avoir pas excepté les jacobins de tous les moines auxquels il accorde beaucoup de ridicule. Labat traite Misson de bouffon ignorant qui ne peut être lu que de la canaille anglaise. Et ce qu’il y a de mieux, c’est que ce moine fait tous ses efforts pour être plus hardi et plus drôle que Misson. Au surplus, c’était un des plus effrontés convertisseurs que nous eussions ; mais en qualité de voyageur il ressemble à tous les autres, qui croient que tout l’univers a les yeux ouverts sur tous les cabarets où ils ont couché, et sur leurs querelles avec les commis de la douane. (Note de Voltaire.)

    * Voyages de Labat (en Espagne et en Italie), tome V, depuis la page 303 jusqu’à la page 313. — Cette citation est de Voltaire. (B.)