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DÉNOMBREMENT.


Le cens ne s’est jamais fait que des citoyens romains. On prétend que sous Auguste il était de quatre millions soixante-trois mille, l’an 29 avant notre ère vulgaire, selon Tillemont, qui est assez exact ; mais il cite Dion Cassius, qui ne l’est guère.

Laurent Échard n’admet qu’un dénombrement de quatre millions cent trente-sept mille hommes, l’an 14 de notre ère. Le même Échard parle d’un dénombrement général de l’empire pour la première année de la même ère ; mais il ne cite aucun auteur romain, et ne spécifie aucun calcul du nombre des citoyens. Tillemont ne parle en aucune manière de ce dénombrement.

On a cité Tacite et Suétone ; mais c’est très-mal à propos. Le cens dont parle Suétone n’est point un dénombrement de citoyens ; ce n’est qu’une liste de ceux auxquels le public fournissait du blé.

Tacite ne parle, au livre II, que d’un cens établi dans les seules Gaules pour y lever plus de tributs par tête. Jamais Auguste ne fit un dénombrement des autres sujets de son empire, parce que l’on ne payait point ailleurs la capitation qu’il voulut établir en Gaule.

Tacite dit[1] « qu’Auguste avait un mémoire écrit de sa main, qui contenait les revenus de l’empire, les flottes, les royaumes tributaires ». Il ne parle point d’un dénombrement.

Dion Cassius spécifie un cens[2] mais il n’articule aucun nombre.

Josèphe, dans ses Antiquités, dit[3] que l’an 759 de Rome (temps qui répond à l’onzième année de notre ère), Cyrénius, établi alors gouverneur de Syrie, se fit donner une liste de tous les biens des Juifs, ce qui causa une révolte. Cela n’a aucun rapport à un dénombrement général, et prouve seulement que ce Cyrénius ne fut gouverneur de la Judée (qui était alors une petite province de Syrie) que dix ans après la naissance de notre Sauveur, et non pas au temps de sa naissance.

Voilà, ce me semble, ce qu’on peut recueillir de principal dans les profanes touchant les dénombrements attribués à Auguste. Si nous nous en rapportions à eux, Jésus-Christ serait né sous le gouvernement de Varus, et non sous celui de Cyrénius ; il n’y aurait point eu de dénombrement universel. Mais saint Luc, dont l’autorité doit prévaloir sur Josèphe, Suétone, Tacite, Dion Cassius, et tous les écrivains de Rome ; saint Luc affirme positivement

  1. Annales, livre I, chapitre ii. (Note de Voltaire.)
  2. Livre XLIII. (Id.)
  3. Josèphe, livre XVIII, chapitre i. (Id.)