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DIEU, DIEUX.

Et quelle est encore cette espérance ? nous n’en pouvons avoir aucune certitude par la raison. Mais j’ose dire que quand il nous est prouvé qu’un vaste édifice, construit avec le plus grand art, est bâti par un architecte quel qu’il soit, nous devons croire à cet architecte quand même l’édifice serait teint de notre sang, souillé de nos crimes, et qu’il nous écraserait par sa chute. Je n’examine pas encore si l’architecte est bon ; si je dois être satisfait de son édifice ; si je dois en sortir plutôt que d’y demeurer ; si ceux qui sont logés comme moi dans cette maison pour quelques jours en sont contents : j’examine seulement s’il est vrai qu’il y ait un architecte, ou si cette maison, remplie de tant de beaux appartements et de vilains galetas, s’est bâtie toute seule.


SECTION V[1].


De la nécessité de croire un être suprême.


Le grand objet, le grand intérêt, ce me semble, n’est pas d’argumenter en métaphysique, mais de peser s’il faut, pour le bien commun de nous autres animaux misérables et pensants, admettre un Dieu rémunérateur et vengeur, qui nous serve à la fois de frein et de consolation, ou rejeter cette idée en nous abandonnant à nos calamités sans espérances, et à nos crimes sans remords.

Hobbes dit que si dans une république où l’on ne reconnaîtrait point de Dieu, quelque citoyen en proposait un, il le ferait pendre.

Il entendait apparemment, par cette étrange exagération, un citoyen qui voudrait dominer au nom de Dieu, un charlatan qui voudrait se faire tyran. Nous entendons des citoyens qui, sentant la faiblesse humaine, sa perversité et sa misère, cherchent un point fixe pour assurer leur morale, et un appui qui les soutienne dans les langueurs et dans les horreurs de cette vie.

Depuis Job jusqu’à nous, un très-grand nombre d’hommes a maudit son existence ; nous avons donc un besoin perpétuel de consolation et d’espoir. Votre philosophie nous en prive. La fable de Pandore valait mieux, elle nous laissait l’espérance, et

  1. Quatrième section de l’article dans les Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. Cette section fait suite à la précédente ; une partie avait paru dans la brochure intitulée Dieu, et dont je parle à l’article Fonte. (B.)