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DIEU, DIEUX.

vous nous la ravissez ! La philosophie, selon vous, ne fournit acune preuve d’un bonheur à venir. Non ; mais vous n’avez aucune démonstration du contraire. Il se peut qu’il y ait en nous une monade indestructible qui sente et qui pense, sans que nous sachions le moins du monde comment cette monade est faite. La raison ne s’oppose point absolument à cette idée, quoique la raison seule ne la prouve pas. Cette opinion n’a-t-elle pas un prodigieux avantage sur la vôtre ? La mienne est utile au genre humain, la vôtre est funeste ; elle peut, quoi que vous en disiez, encourager les Néron, les Alexandre VI, et les Cartouche ; la mienne peut les réprimer.

Marc-Antonin, Épictète, croyaient que leur monade, de quelque espèce qu’elle fût, se rejoindrait à la monade du grand Être ; et ils furent les plus vertueux des hommes.

Dans le doute où nous sommes tous deux, je ne vous dis pas avec Pascal : Prenez le plus sûr. Il n’y a rien de sûr dans l’incertitude. Il ne s’agit pas ici de parier, mais d’examiner : il faut juger, et notre volonté ne détermine pas notre jugement. Je ne vous propose pas de croire des choses extravagantes pour vous tirer d’embarras ; je ne vous dis pas : Allez à la Mecque baiser la pierre noire pour vous instruire ; tenez une queue de vache à la main ; affublez-vous d’un scapulaire, soyez imbécile et fanatique pour acquérir la faveur de l’Être des êtres. Je vous dis : Continuez à cultiver la vertu, à être bienfaisant, à regardez toute superstition avec horreur ou avec pitié ; mais adorez avec moi le dessein qui se manifeste dans toute la nature, et par conséquent l’auteur de ce dessein, la cause primordiale et finale de tout ; espérez avec moi que notre monade qui raisonne sur le grand Être éternel pourra être heureuse par ce grand Être même. Il n’y a point là de contradiction. Vous ne m’en démontrerez pas l’impossibilité ; de même que je ne puis vous démontrer mathématiquement que la chose est ainsi. Nous ne raisonnons guère en métaphysique que sur des probabilités ; nous nageons tous dans une mer dont nous n’avons jamais vu le rivage. Malheur à ceux qui se battent en nageant ! Abordera qui pourra ; mais celui qui me crie : Vous nagez en vain, il n’y a point de port, me décourage et m’ôte toutes mes forces.

De quoi s’agit il dans notre dispute ? de consoler notre malheureuse existence. Qui la console ? vous, ou moi ?

Vous avouez vous-même, dans quelques endroits de votre ouvrage, que la croyance d’un Dieu a retenu quelques hommes sur le bord du crime : cet aveu me suffit. Quand cette opinion n’au-