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DIOCLÉTIEN.


DIOCLÉTIEN[1].


Après plusieurs règnes faibles ou tyranniques, l’empire romain eut un bon empereur dans Probus, et les légions le massacrèrent. Elles élurent Carus, qui fut tué d’un coup de tonnerre vers le Tigre, lorsqu’il faisait la guerre aux Perses. Son fils Numérien fut proclamé par les soldats. Les historiens nous disent sérieusement qu’à force de pleurer la mort de son père il en perdit presque la vue, et qu’il fut obligé, en faisant la guerre, de demeurer toujours entre quatre rideaux. Son beau-père, nommé Aper, le tua dans son lit pour se mettre sur le trône ; mais un druide avait prédit dans les Gaules à Dioclétien, l’un des généraux de l’armée, qu’il serait immédiatement empereur après avoir tué un sanglier : or un sanglier se nomme en latin aper. Dioclétien assembla l’armée, tua de sa main Aper en présence des soldats, et accomplit ainsi la prédiction du druide. Les historiens qui rapportent cet oracle méritaient de se nourrir du fruit de l’arbre que les druides révéraient. Il est certain que Dioclétien tua le beau-père de son empereur ; ce fut là son premier droit au trône : le second, c’est que Numérien avait un frère nommé Carin, qui était aussi empereur, et qui, s’étant opposé à l’élévation de Dioclétien, fut tué par un des tribuns de son armée. Voilà les droits de Dioclétien à l’empire. Depuis longtemps il n’y en avait guère d’autres.

Il était originaire de Dalmatie, de la petite ville de Dioclée, dont il avait pris le nom. S’il est vrai que son père ait été laboureur, et que lui-même dans sa jeunesse ait été esclave d’un sénateur nommé Anulinus, c’est là son plus bel éloge : il ne pouvait devoir son élévation qu’à lui-même ; il est bien clair qu’il s’était concilié l’estime de son armée, puisqu’on oublia sa naissance pour lui donner le diadème. Lactance, auteur chrétien, mais un peu partial, prétend que Dioclétien était le plus grand poltron de l’empire. Il n’y a guère d’apparence que des soldats romains aient choisi un poltron pour les gouverner, et que ce poltron eût passé par tous les degrés de la milice. Le zèle de Lactance contre un empereur païen est très-louable, mais il n’est pas adroit.

  1. Ce morceau, imprimé en 1756 dans la Suite des Mélanges (4e partie), y était placé entre les deux morceaux qui forment les première et seconde sections de l’article Constantin. (B.)