Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
422
DORMANTS (LES SEPT).


En France la jurisprudence fut incertaine sur cet objet, comme sur presque tous les autres, jusqu’à l’année 1731, où l’équitable chancelier d’Aguesseau, ayant conçu le dessein de rendre enfin la loi uniforme, ébaucha très-faiblement ce grand ouvrage par l’édit sur les donations. Il est rédigé en quarante-sept articles. Mais en voulant rendre uniformes toutes les formalités concernant les donations, on excepta la Flandre de la loi générale ; et en exceptant la Flandre on oublia l’Artois, qui devrait jouir de la même exception : de sorte que, six ans après la loi générale, on fut obligé d’en faire pour l’Artois une particulière.

On fit surtout ces nouveaux édits concernant les donations et les testaments, pour écarter tous les commentateurs qui embrouillent les lois ; et on en a déjà fait dix commentaires.

Ce qu’on peut remarquer sur les donations, c’est qu’elles s’étendent beaucoup plus loin qu’aux particuliers à qui on fait un présent. Il faut payer pour chaque présent aux fermiers du domaine royal, droit de contrôle, droit d’insinuation, droit de centième denier, droit de deux sous pour livre, droit de huit sous pour livre.

De sorte que toutes les fois que vous donnez à un citoyen, vous êtes bien plus libéral que vous ne pensez : vous avez le plaisir de contribuer à enrichir les fermiers généraux ; mais cet argent ne sort point du royaume, comme celui qu’on paye à la cour de Rome.


DORMANTS (LES SEPT)[1].


La fable imagina qu’un Épiménide avait dormi d’un somme pendant vingt-sept ans, et qu’à son réveil il fut tout étonné de trouver ses petits-enfants mariés qui lui demandaient son nom, ses amis morts, sa ville et les mœurs des habitants changés. C’était un beau champ à la critique, et un plaisant sujet de comédie. La légende a emprunté tous les traits de la fable, et les a grossis.

L’auteur de la Légende dorée ne fut pas le premier qui, au xiiie siècle, au lieu d’un dormeur nous en donna sept, et en fit bravement sept martyrs. Il avait pris cette édifiante histoire chez Grégoire de Tours, écrivain véridique, qui l’avait prise chez Sigebert, qui l’avait prise chez Métaphraste, qui l’avait prise chez Nicéphore. C’est ainsi que la vérité arrive aux hommes de main en main.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, quatrième partie, 1771. (B.)