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ÉCONOMIE DE PAROLES.

le plus compliquée. On n’a pas d’idée d’une telle administration dans le reste du globe, depuis le mont Atlas jusqu’au Japon. Il n’y a guère que cent trente ans que commença cet art de rendre la moitié d’une nation débitrice de l’autre, de faire passer avec du papier les fortunes de main en main, de rendre l’État créancier de l’État, de faire un chaos de ce qui devrait être soumis à une règle uniforme. Cette méthode s’est étendue en Allemagne et en Hollande. On a poussé ce raffinement et cet excès jusqu’à établir un jeu entre le souverain et les sujets ; et ce jeu est appelé loterie. Votre enjeu est de l’argent comptant ; si vous gagnez, vous obtenez des espèces ou des rentes : qui perd ne souffre pas un grand dommage. Le gouvernement prend d’ordinaire dix pour cent pour sa peine. On fait ces loteries les plus compliquées que l’on peut, pour étourdir et pour amorcer le public. Toutes ces méthodes ont été adoptées en Allemagne et en Hollande : presque tout État a été obéré tour à tour. Cela n’est pas trop sage ; mais qui l’est ? les petits, qui n’ont pas le pouvoir de se ruiner.


ÉCONOMIE DE PAROLES[1].


PARLER PAR ÉCONOMIE.


C’est une expression consacrée aux Pères de l’Église, et même aux premiers instituteurs de notre sainte religion ; elle signifie « parler selon les temps et selon les lieux ».

Par exemple[2], saint Paul étant chrétien vient dans le temple des Juifs s’acquitter des rites judaïques, pour faire voir qu’il ne s’écarte point de la loi mosaïque : il est reconnu au bout de sept jours, et accusé d’avoir profané le temple. Aussitôt on le charge de coups, on le traîne en tumulte : le tribun de la cohorte, tribunus cohortis[3] arrive, et le fait lier de deux chaînes[4]. Le lendemain, ce tribun fait assembler le sanhédrin, et amène Paul devant ce tribunal ; le grand-prêtre Annaniah commence

  1. Questions sur l’Encyclopédie, cinquième partie, 1771. (B.)
  2. Actes des apôtres, chapitre xxi. (Note de Voltaire.)
  3. Il n’y avait pas, à la vérité, dans la milice romaine, de tribun de cohorte. C’est comme si on disait parmi nous colonel d’une compagnie. Les centurions étaient à la tête des cohortes, et les tribuns à la tête des légions. Il y avait trois tribuns souvent dans une légion ; ils commandaient alors tour à tour, et étaient subordonnés les uns aux autres. L’auteur des Actes a probablement entendu que le tribun fit marcher une cohorte. (Id.)
  4. Chapitre xxii. (Id.)