Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
465
ÉCONOMIE DE PAROLES.

par lui faire donner un soufflet[1] et Paul l’appelle muraille blanchie[2].

« Il me donna un soufflet ; mais je lui dis bien son fait[3]. »

«[4] Or, Paul sachant qu’une partie des juges était composée de saducéens, et l’autre de pharisiens, il s’écria : Je suis pharisien et fils de pharisien ; on ne veut me condamner qu’à cause de l’espérance et de la résurrection des morts. Paul ayant ainsi parlé, il s’éleva une dispute entre les pharisiens et les saducéens, et l’assemblée fut rompue : car les saducéens disent qu’il n’y a ni résurrection, ni anges, ni esprits, et les pharisiens confessent le contraire. »

Il est bien évident, par le texte, que Paul n’était point pharisien, puisqu’il était chrétien, et qu’il n’avait point du tout été question dans cette affaire ni de résurrection, ni d’espérance, ni d’anges, ni d’esprits.

Le texte fait voir que saint Paul ne parlait ainsi que pour compromettre ensemble les pharisiens et les saducéens : c’était parler par économie, par prudence ; c’était un artifice pieux, qui n’eût pas été peut-être permis à tout autre qu’à un apôtre.

C’est ainsi que presque tous les Pères de l’Église ont parlé par économie. Saint Jérôme développe admirablement cette méthode dans sa lettre cinquante-quatrième à Pammaque. Pesez ses paroles.

Après avoir dit qu’il est des occasions où il faut présenter un pain et jeter une pierre, voici comme il continue :

« Lisez, je vous prie, Démosthène ; lisez Cicéron ; et si les rhétoriciens vous déplaisent, parce que leur art est de dire le vraisemblable plutôt que le vrai, lisez Platon, Théophraste, Xénophon, Aristote, et tous ceux qui, ayant puisé dans la fontaine de Socrate, en ont tiré divers ruisseaux. Y a-t-il chez eux quelque candeur, quelque simplicité ? quels termes chez eux n’ont pas deux sens ? et quels sens ne présentent-ils pas pour remporter la victoire ? Origène, Méthodius, Eusèbe, Apollinaire, ont écrit des milliers de versets contre Celse et Porphyre. Considérez avec quel artifice, avec quelle subtilité problématique ils combattent l’esprit du diable ; ils disent, non ce qu’ils pensent, mais ce qui est nécessaire : Non quod sentiunt, sed quod necesse est dicunt.

« Je ne parle point des auteurs latins Tertullien, Cyprien,

  1. Un soufflet, chez les peuples asiatiques, était une punition légale. Encore aujourd’hui, à la Chine, et dans les pays au delà du Gange, on condamne un homme à une douzaine de soufflets. (Note de Voltaire.)
  2. Chapitre xxiii, v. 3. (Id.)
  3. Pourceaugnac, acte I, scène vi.
  4. Chapitre iii, v. 6 et suiv. (Note de Voltaire.)