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EMBLÈME.

chère ! tes yeux sont des yeux de colombe — tes cheveux sont  comme des troupeaux de chèvres, sans parler de ce que tu nous  caches — tes lèvres sont comme un petit ruban d’écarlate, tes joues sont comme des moitiés de pommes d’écarlate, sans parler  de ce que tu nous caches — que ta gorge est belle ! — que tes  lèvres distillent le miel ! — Mon bien-aimé mit sa main au trou, et  mon ventre tressaillit à ses attouchements — ton nombril est  comme une coupe faite au tour — ton ventre est comme un monceau de froment entouré de lis — tes deux tétons sont comme  deux faons gémeaux de chevreuil — ton cou est comme une  tour d’ivoire — ton nez est comme la tour du mont Liban — ta  tête est comme le mont Carmel, ta taille est celle d’un palmier.  J’ai dit : Je monterai sur le palmier et je cueillerai de ses fruits.  Que ferons-nous de notre petite sœur ? elle n’a pas encore de  tétons. Si c’est un mur, bâtissons dessus une tour d’argent ; si  c’est une porte, fermons-la avec du bois de cèdre. » 

Il faudrait traduire tout le cantique pour voir qu’il est un emblème d’un bout à l’autre ; surtout l’ingénieux dom Calmet démontre que le palmier sur lequel monte le bien-aimé est la croix à laquelle on condamna notre Seigneur Jésus-Christ. Mais il faut avouer qu’une morale saine et pure est encore préférable à ces allégories. 

On voit dans les livres de ce peuple une foule d’emblèmes  typiques qui nous révoltent aujourd’hui, et qui exercent notre  incrédulité et notre raillerie, mais qui paraissaient communs et  simples aux peuples asiatiques. 

Dieu apparaît à Isaïe fils d’Amos, et lui dit[1] : « Va, détache ton  sac de tes reins, et tes sandales de tes pieds ; et il le fit ainsi,  marchant tout nu et déchaux. Et Dieu dit : Ainsi que mon serviteur Isaïe a marché tout nu et déchaux, comme un signe de trois  ans sur l’Égypte et l’Éthiopie, ainsi le roi des Assyriens emmènera  des captifs d’Égypte et d’Éthiopie, jeunes et vieux, les fesses  découvertes, à la honte de l’Égypte. » 

Cela nous semble bien étrange ; mais informons-nous seulement de ce qui se passe encore de nos jours chez les Turcs et  chez les Africains, et dans l’Inde, où nous allons commercer avec  tant d’acharnement et si peu de succès. On apprendra qu’il n’est  pas rare de voir des santons, absolument nus, non-seulement  prêcher les femmes, mais se laisser baiser les parties naturelles  avec respect, sans que ces baisers inspirent ni à la femme ni au 

  1. Isaïe, chapitre xx, v. 2 et suiv. (Note de Voltaire.)