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EMBLÈME.

santon le moindre désir impudique. On verra sur les bords du Gange une foule innombrable d’hommes et de femmes nus de la tête jusqu’aux pieds, les bras étendus vers le ciel, attendre le moment d’une éclipse pour se plonger dans le fleuve.

Le bourgeois de Paris ou de Rome ne doit pas croire que le reste de la terre soit tenu de vivre et de penser en tout comme lui.

Jérémie, qui prophétisait du temps de Joakim, melk de Jérusalem[1] en faveur du roi de Babylone, se met des chaînes et des cordes au cou par ordre du Seigneur, et les envoie aux rois d’Édom, d’Ammon, de Tyr, de Sidon, par leurs ambassadeurs qui étaient venus à Jérusalem vers Sédécias ; il leur ordonne de parler ainsi à leurs maîtres :

« Voici ce que dit le Seigneur des armées, le Dieu d’Israël ; vous direz ceci à vos maîtres : J’ai fait la terre, les hommes, les bêtes de somme qui sont sur la surface de la terre, dans ma grande force et dans mon bras étendu, et j’ai donné la terre à celui qui a plu à mes yeux ; et maintenant donc j’ai donné toutes ces terres dans la main de Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur ; et par-dessus je lui ai donné toutes les bêtes des champs afin qu’elles le servent. J’ai parlé selon toutes ces paroles à Sédécias, roi de Juda, lui disant : Soumettez votre cou sous le joug du roi de Babylone ; servez-le, lui et son peuple et vous vivrez, etc. »

Aussi Jérémie fut-il accusé de trahir son roi et sa patrie, et de prophétiser en faveur de l’ennemi pour de l’argent : on a même prétendu qu’il fut lapidé.

Il est évident que ces cordes et ces chaînes étaient l’emblème de cette servitude à laquelle Jérémie voulait qu’on se soumît.

C’est ainsi qu’Hérodote nous raconte qu’un roi des Scythes envoya pour présent à Darius un oiseau, une souris, une grenouille et cinq flèches. Cet emblème signifiait que si Darius ne fuyait aussi vite qu’un oiseau, qu’une grenouille, qu’une souris, il serait percé par les flèches des Scythes. L’allégorie de Jérémie était celle de l’impuissance, et l’emblème des Scythes était celui du courage.

C’est ainsi que Sextus Tarquinius consultant son père, que nous appelons Tarquin le Superbe, sur la manière dont il devait se conduire avec les Gabiens, Tarquin, qui se promenait dans son jardin, ne répondit qu’en abattant les têtes des plus hauts pavots.

  1. Jérémie, chapitre xxvii, v. 2 et suiv. (Note de Voltaire.)