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ENFER.

que ces idées faisaient une grande impression sur les esprits ; il vient, dit-il, pour les détruire :

. . . . . Si certam finem esse viderent
Ærumnarum homines, aliqua ratione valerent
Relligionibus atque minis obsistere vatum.
Nunc ratio nulla est restandi, nulla facultas :
Æternas quoniam pœnas in morte timendum.

(Lucr., I, v. 108 et seq.)

Si l’on voyait du moins un terme à son malheur,
On soutiendrait sa peine, on combattrait l’erreur,
On pourrait supporter le fardeau de la vie ;
Mais d’un plus grand supplice elle est, dit-on, suivie :
Après de tristes jours on craint l’éternité.

Il était donc vrai que parmi les derniers du peuple, les uns riaient de l’enfer, les autres en tremblaient. Les uns regardaient Cerbère, les Furies, et Pluton, comme des fables ridicules ; les autres ne cessaient de porter des offrandes aux dieux infernaux. C’était tout comme chez nous :

Et quocumque tamen miseri venere, parentant,
Et nigras mactant pecudes, et Manibu divis
Inferias mittunt, multoque in rebus acerbis
Acrius advertunt animos ad relligionem.

(Lucr., III, v. 51-54.)

Ils conjurent ces dieux qu’ont forgés nos caprices ;
Ils fatiguent Pluton de leurs vains sacrifices ;
Le sang d’un bélier noir coule sous leurs couteaux :
Plus ils sont malheureux, et plus ils sont dévots.

Plusieurs philosophes qui ne croyaient pas aux fables des enfers voulaient que la populace fût contenue par cette croyance. Tel fut Timée de Locres, tel fut le politique historien Polybe. « L’enfer, dit-il, est inutile aux sages, mais nécessaire à la populace insensée. »

Il est assez connu que la loi du Pentateuque n’annonça jamais un enfer[1]. Tous les hommes étaient plongés dans ce chaos de

  1. Dans le Dictionnaire encyclopédique, l’auteur de l’article théologique Enfer semble se méprendre étrangement en citant le Deutéronome, au chapitre xxxii, V. 22 et suivants ; il n’y est pas plus question d’enfer que de mariage et de danse. On fait parler Dieu ainsi : « Ils m’ont provoqué dans celui qui n’était pas leur Dieu, et ils m’ont irrité dans leurs vanités ; et moi, je les provoquerai dans celui qui n’est pas mon peuple, et je les irriterai dans une nation folle. — Un feu s’est allumé dans ma fureur, et il brûlera jusqu’au bord du souterrain, et il dévorera la terre avec ses germes, et il brûlera les racines des montagnes. — J’accumulerai les maux sur eux ; je viderai sur eux mes flèches ; je les ferai mourir de faim ; les oiseaux les dévoreront d’une morsure amère ; j’enverrai contre eux les dents des bêtes avec la fureur des reptiles et des serpents. Le glaive les dévastera au dehors, et la frayeur au dedans, eux et les garçons, et les filles, et les enfants à la mamelle, avec les vieillards. »

    Y a-t-il là, s’il vous plaît, rien qui désigne des châtiments après la mort ? Des herbes sèches, des serpents qui mordent, des filles et des enfants qu’on tue, ressemblent-ils à l’enfer ? N’est-il pas honteux de tronquer un passage pour y trouver ce qui n’y est pas ? Si l’auteur s’est trompé, on lui pardonne ; s’il a voulu tromper, il est inexcusable. (Note de Voltaire.)