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ENFER.

mieux entrer borgne dans le royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux yeux dans la gehenna du feu, où le ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint point.

« Car chacun sera salé par le feu, et toute victime sera salée par le sel.

« Le sel est bon ; que si le sel s’affadit, avec quoi salerez-vous ?

« Vous avez dans vous le sel, conservez la paix parmi vous. »

Il dit ailleurs, sur le chemin de Jérusalem[1] : « Quand le père de famille sera entré et aura fermé la porte, vous resterez dehors, et vous heurterez, disant : Maître, ouvrez-nous ; et en répondant, il vous dira : Nescio vos, d’où êtes-vous ? Et alors vous commencerez à dire : Nous avons mangé et bu avec toi, et tu as enseigné dans nos carrefours ; et il vous répondra : Nescio vos, d’où êtes-vous ? ouvriers d’iniquités ! Et il y aura pleurs et grincements de dents quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob, et tous les prophètes, et que vous serez chassés dehors. »

Malgré les autres déclarations positives émanées du Sauveur du genre humain, qui assurent la damnation éternelle de quiconque ne sera pas de notre Église, Origène et quelques autres n’ont pas cru l’éternité des peines.

Les sociniens les rejettent, mais ils sont hors du giron. Les luthériens et les calvinistes, quoique égarés hors du giron, admettent un enfer sans fin[2].

Dès que les hommes vécurent en société, ils durent s’apercevoir que plusieurs coupables échappaient à la sévérité des lois : ils punissaient les crimes publics ; il fallut établir un frein pour les crimes secrets ; la religion seule pouvait être ce frein. Les Persans, les Chaldéens, les Égyptiens, les Grecs, imaginèrent des punitions après la vie ; et de tous les peuples anciens que nous connaissons, les Juifs, comme nous l’avons déjà observé[3] furent les seuls qui n’admirent que des châtiments temporels. Il est ridicule de croire ou de feindre de croire, sur quelques passages très-obscurs, que l’enfer était admis par les anciennes lois des

  1. Luc, chapitre xiii, v. 25 et suiv. (Note de Voltaire.)
  2. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1771, après ces mots un enfer sans fin, venait l’alinéa : Il n’y a pas longtemps, etc. (voyez page 540), et les deux qui le suivent. L’addition est posthume. (B.)
  3. Voyez ci-dessus les articles Âme, section ix (t. XVII, p. 160) ; et Athée, section i (t. XVII, p. 456) ; et encore dans les Mélanges, année 1763, les Éclaircissements historiques, douzième sottise de Nonotte  : année 1767, la première des Homélies ; année 1769, la 7e des Notes de Voltaire sur le Discours de l’empereur Julien.