rain, leur manda que puisqu’ils voulaient être damnés sans retour, il le trouvait très-bon, et qu’il y donnait les mains. Les damnés de l’église de Neufchâtel déposèrent le pauvre Petit-Pierre, qui avait pris l’enfer pour le purgatoire. On a écrit que l’un d’eux lui dit : « Mon ami, je ne crois pas plus à l’enfer éternel que vous ; mais sachez qu’il est bon que votre servante, que votre tailleur, et surtout votre procureur, y croient[1]. »
J’ajouterai, pour l’illustration de ce passage, une petite exhortation aux philosophes qui nient tout à plat l’enfer dans leurs écrits. Je leur dirai : Messieurs, nous ne passons pas notre vie avec Cicéron, Atticus, Caton, Marc-Aurèle, Épictète, le chancelier de L’Hospital, La Mothe Le Vayer, Des Yveteaux, René Descartes, Newton, Locke, ni avec le respectueux Bayle, qui était si au-dessus de la fortune ; ni avec le vertueux trop incrédule Spinosa, qui, n’ayant rien, rendit aux enfants du grand-pensionnaire de Wit une pension de trois cents florins que lui faisait le grand de Wit, dont les Hollandais mangèrent le cœur quoiqu’il n’y eût rien à gagner en le mangeant. Tous ceux à qui nous avons à faire ne sont pas des Des Barreaux[2], qui payait à des plaideurs la valeur de leur procès qu’il avait oublié de rapporter[3]. Toutes les femmes ne sont pas des Ninon Lenclos, qui gardait les dépôts si religieusement tandis que les plus graves personnages les violaient[4]. En un mot, messieurs, tout le monde n’est pas philosophe.
Nous avons affaire à force fripons qui ont peu réfléchi ; à une foule de petites gens, brutaux, ivrognes, voleurs. Prêchez-leur, si vous voulez, qu’il n’y a point d’enfer, et que l’âme est mortelle. Pour moi, je leur crierai dans les oreilles qu’ils seront danmés s’ils
- ↑ Fin de l’article en 1764. (B.)
- ↑ Voyez son article dans le Catalogue des écrivains, qui fait partie du Siècle de Louis XIV, tome XIV.
- ↑ Et tous ne sont pas non plus des Voltaire, qui aidait de sa bourse ceux qui plaidaient contre lui-même. En 1770, raconte la Revue des Autographes. Mme Denis ayant eu un procès avec un agriculteur au sujet d’une portion de terrain qu’elle prétendait appartenir à son oncle, l’agriculteur, à qui l’argent manquait pour soutenir ses droits, conjura Voltaire de lui prêter vingt-cinq louis. « C’est l’héritage de mon père qu’on veut me ravir, et vous seul pouvez me fournir les moyens d’obtenir justice. — Oh ! oh ! voilà qui est nouveau, s’écria Voltaire. Wagnières, dit-il
à son secrétaire, avons-nous cette somme en caisse ? — Oui, monsieur Voltaire. — Eh bien ! comptez-les à ce brave homme, qui vient chercher ici des verges pour me fouetter, et qui n’aura pas compté en vain sur mes bons sentiments. »
Et l’agriculteur ayant gagné son procès, Voltaire alla tout de suite féliciter M. Pan...t d’un succès qui lui était dû. (G. A.)
- ↑ Voyez dans les Mélanges, année 1751, le morceau Sur mademoiselle de Lenclos.