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CATÉCHISME CHINOIS.



TROISIÈME ENTRETIEN.


KOU.

Vous me poussez, Cu-su. Pour que je puisse être récompensé ou puni quand je ne serai plus, il faut qu’il subsiste dans moi quelque chose qui sente et qui pense après moi. Or comme avant ma naissance rien de moi n’avait ni sentiment ni pensée, pourquoi y en aurait-il après ma mort ? que pourrait être cette partie incompréhensible de moi-même ? Le bourdonnement de cette abeille restera-t-il quand l’abeille ne sera plus ? La végétation de cette plante subsiste-t-elle quand la plante est déracinée ? La végétation n’est-elle pas un mot dont on se sert pour signifier la manière inexplicable dont l’Être suprême a voulu que la plante tirât les sucs de la terre ? L’âme est de même un mot inventé pour exprimer faiblement et obscurément les ressorts de notre vie. Tous les animaux se meuvent ; et cette puissance de se mouvoir, on l’appelle force active ; mais il n’y a pas un être distinct qui soit cette force. Nous avons des passions ; cette mémoire, cette raison, ne sont pas, sans doute, des choses à part ; ce ne sont pas des êtres existants dans nous ; ce ne sont pas de petites personnes qui aient une existence particulière ; ce sont des mots génériques, inventés pour fixer nos idées. L’âme, qui signifie notre mémoire, notre raison, nos passions, n’est donc elle-même qu’un mot. Qui fait le mouvement dans la nature ? c’est Dieu. Qui fait végéter toutes les plantes ? c’est Dieu. Qui fait le mouvement dans les animaux ? c’est Dieu. Qui fait la pensée de l’homme ? c’est Dieu.

Si l’âme[1] humaine était une petite personne renfermée dans notre corps, qui en dirigeât les mouvements et les idées, cela ne marquerait-il pas dans l’éternel artisan du monde une impuissance et un artifice indigne de lui ? il n’aurait donc pas été capable de faire des automates qui eussent dans eux-mêmes le don du mouvement et de la pensée ? Vous m’avez appris le grec, vous m’avez fait lire Homère ; je trouve Vulcain un divin forgeron, quand il fait des trépieds d’or qui vont tout seuls au conseil des dieux ; mais ce Vulcain me paraîtrait un misérable charlatan s’il avait caché dans le corps de ces trépieds quelqu’un de ses garçons qui les fît mouvoir sans qu’on s’en aperçût.

Il y a de froids rêveurs qui ont pris pour une belle imagination l’idée de faire rouler des planètes par des génies qui les

  1. Voyez l’article Âme, onzième section.