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CATÉCHISME CHINOIS.

talapoins pour nous faire de bons principes. Hélas! les malheureux ! ce n’est que d’hier qu’ils savent lire et écrire, et ils prétendent enseigner leurs maîtres !


SIXIÈME ENTRETIEN.


CU-SU.

Je ne vous répéterai pas tous les lieux communs qu’on débite parmi nous depuis cinq ou six mille ans sur toutes les vertus. Il y en a qui ne sont que pour nous-mêmes, comme la prudence pour conduire nos âmes, la tempérance pour gouverner nos corps : ce sont des préceptes de politique et de santé. Les véritables vertus sont celles qui sont utiles à la société, comme la fidélité, la magnanimité, la bienfaisance, la tolérance, etc. Grâce au ciel, il n’y a point de vieille qui n’enseigne parmi nous toutes ces vertus à ses petits-enfants : c’est le rudiment de notre jeunesse, au village comme à la ville ; mais il y a une grande vertu qui commence à être de peu d’usage, et j’en suis fâché.

KOU.

Quelle est-elle ? nommez-la vite ; je tâcherai de la ranimer.

CU-SU.

C’est l’hospitalité ; cette vertu si sociale, ce lien sacré des hommes commence à se relâcher depuis que nous avons des cabarets. Cette pernicieuse institution nous est venue, à ce qu’on dit, de certains sauvages d’Occident, Ces misérables apparemment n’ont point de maison pour accueillir les voyageurs. Quel plaisir de recevoir dans la grande ville de Low, dans la belle place de Honchan, dans la maison Ki, un généreux étranger qui arrive de Samarcande, pour qui je deviens dès ce moment un homme sacré, et qui est obligé par toutes les lois divines et humaines de me recevoir chez lui quand je voyagerai en Tartarie, et d’être mon ami intime !

Les sauvages dont je vous parle ne reçoivent les étrangers que pour de l’argent dans des cabanes dégoûtantes ; ils vendent cher cet accueil infâme ; et avec cela, j’entends dire que ces pauvres gens se croient au-dessus de nous, qu’ils se vantent d’avoir une morale plus pure. Ils prétendent que leurs prédicateurs prêchent mieux que Confutzée ; qu’enfin c’est à eux de nous enseigner la justice, parce qu’ils vendent de mauvais vin sur les grands chemins, que leurs femmes vont comme des folles dans les rues, et qu’elles dansent pendant que les nôtres cultivent des vers à soie.