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CATÉCHISME DU JAPONAIS.

ces querelles n’apprenaient aux hommes qu’à se nuire, on prend enfin le parti de se tolérer mutuellement, et c’est sans contredit ce qu’il y a de mieux à faire.

L’INDIEN.

Et qui sont, s’il vous plaît, ces traiteurs qui partagent votre nation dans l’art de boire et de manger ?

LE JAPONAIS.

Il y a premièrement les Breuxeh[1], qui ne vous donneront jamais de boudin ni de lard ; ils sont attachés à l’ancienne cuisine ; ils aimeraient mieux mourir que de piquer un poulet : d’ailleurs, grands calculateurs ; et s’il y a une once d’argent à partager entre eux et les onze autres cuisiniers, ils en prennent d’abord la moitié pour eux, et le reste est pour ceux qui savent le mieux compter.

L’INDIEN.

Je crois que vous ne soupez guère avec ces gens-là.

LE JAPONAIS.

Non. Il y a ensuite les pispates qui, certains jours de chaque semaine, et même pendant un temps considérable de l’année, aimeraient cent fois mieux manger pour cent écus de turbots, de truites, de soles, de saumons, d’esturgeons[2], que de se nourrir d’une blanquette de veau qui ne reviendrait pas à quatre sous.

Pour nous autres canusi, nous aimons fort le bœuf et une certaine pâtisserie qu’on appelle en japonais du pudding. Au reste tout le monde convient que nos cuisiniers sont infiniment plus savants que ceux des pispates. Personne n’a plus approfondi que nous le garum des Romains, n’a mieux connu les oignons de l’ancienne Égypte, la pâte de sauterelles des premiers Arabes, la chair de cheval des Tartares ; et il y a toujours quelque chose à apprendre dans les livres des canusi qu’on appelle communément pauxcospie.

Je ne vous parlerai point de ceux qui ne mangent qu’à la Terluh, ni de ceux qui tiennent pour le régime de Vincal, ni des batistapanes, ni des autres ; mais les quekars méritent une attention particulière. Ce sont les seuls convives que je n’aie jamais

  1. On voit assez que les Breuxeh sont les Hébreux ; et sic de cœteris. (Note de Voltaire.) — Dans sa lettre à Mme du Deffant, du 8 octobre 1764, Voltaire explique que les pipastes (ou pispates) sont les papistes ; Terluh et Vincal, Luther et Calvin ; les batistapanes et les quekars désignent les anabaptistes et les quakers ; les diestes sont les déistes. (B.)
  2. Voyez dans les Mélanges, année 1769, la Requête à tous les magistrats du royaume, première partie. (B.)