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CATÉCHISME DU JAPONAIS.

vus s’enivrer et jurer. Ils sont très-difficiles à tromper ; mais ils ne vous tromperont jamais. Il semble que la loi d’aimer son prochain comme soi-même n’ait été faite que pour ces gens-là : car, en vérité, comment un bon Japonais peut-il se vanter d’aimer son prochain comme lui-même quand il va pour quelque argent lui tirer une balle de plomb dans la cervelle, ou l’égorger avec un criss large de quatre doigts, le tout en front de bandière ? Il s’expose lui-même à être égorgé et à recevoir des balles de plomb : ainsi on peut dire avec bien plus de vérité qu’il hait son prochain comme lui-même, Les quekars n’ont jamais eu cette frénésie ; ils disent que les pauvres humains sont des cruches d’argile faites pour durer très-peu, et que ce n’est pas la peine qu’elles aillent de gaieté de cœur se briser les unes contre les autres.

Je vous avoue que, si je n’étais pas canusi, je ne haïrais pas d’être quekar. Vous m’avouerez qu’il n’y a pas moyen de se quereller avec des cuisiniers si pacifiques. Il y en a d’autres, en très-grand nombre, qu’on appelle diestes ; ceux-là donnent à dîner à tout le monde indifféremment, et vous êtes libre chez eux de manger tout ce qui vous plaît, lardé, bardé, sans lard, sans barde, aux œufs, à l’huile, perdrix, saumon, vin gris, vin rouge ; tout cela leur est indifférent ; pourvu que vous fassiez quelque prière à Dieu avant ou après le dîner, et même simplement avant le déjeuner, et que vous soyez honnêtes gens, ils riront avec vous aux dépens du grand-lama à qui cela ne fera nul mal, et aux dépens de Terluh, de Vincal, et de Mennon, etc. Il est bon seulement que nos diestes avouent que nos canusi sont très-savants en cuisine, et que surtout ils ne parlent jamais de retrancher nos rentes ; alors nous vivrons très-paisiblement ensemble.

L’INDIEN.

Mais enfin il faut qu’il y ait une cuisine dominante, la cuisine du roi.

LE JAPONAIS.

Je l’avoue ; mais quand le roi du Japon a fait bonne chère, il doit être de bonne humeur, et il ne doit pas empêcher ses bons sujets de digérer.

L’INDIEN.

Mais si des entêtés veulent manger au nez du roi des saucisses pour lesquelles le roi aura de l’aversion ; s’ils s’assemblent quatre ou cinq mille armés de grils pour faire cuire leurs saucisses ; s’ils insultent ceux qui n’en mangent point ?

LE JAPONAIS.

Alors il faut les punir comme des ivrognes qui troublent le