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FIÈVRE.

On s’est servi de ce mot dans les romans et dans les vers, surtout dans les opéras, pour exprimer la sévérité de la pudeur : on y rencontre partout vaine fierté, rigoureuse fierté.

Les poëtes ont eu peut-être plus de raison qu’ils ne pensaient. La fierté d’une femme n’est pas simplement la pudeur sévère, l’amour du devoir, mais le haut prix que son amour-propre met à sa beauté.

On a dit quelquefois la fierté du pinceau, pour signifier des touches libres et hardies.



FIÈVRE[1].

 

Ce n’est pas en qualité de médecin, mais de malade, que je veux dire un mot de la fièvre. Il faut quelquefois parler de ses ennemis : celui-là m’a attaqué pendant plus de vingt ans. Fréron n’a jamais été plus acharné.

Je demande pardon à Sydenham, qui définit la fièvre « un effort de la nature, qui travaille de tout son pouvoir à chasser la matière peccante ». On pourrait définir ainsi la petite-vérole, la rougeole, la diarrhée, les vomissements, les éruptions de la peau, et vingt autres maladies. Mais si ce médecin définissait mal, il agissait bien. Il guérissait, parce qu’il avait de l’expérience, et qu’il savait attendre.

Boerhaave, dans ses Aphorismes dit : « La contraction plus fréquente, et la résistance augmentée vers les vaisseaux capillaires, donnent une idée absolue de toute fièvre aiguë. »

C’est un grand maître qui parle ; mais il commence par avouer que la nature de la fièvre est très-cachée.

Il ne nous dit point quel est ce principe secret qui se développe à des heures réglées dans des fièvres intermittentes ; quel est ce poison interne qui se renouvelle après un jour de relâche ; où est ce foyer qui s’éteint et se rallume à des moments marqués. Il semble que toutes les causes soient faites pour être ignorées.

On sait à peu près qu’on aura la fièvre après des excès, ou dans l’intempérie des saisons ; on sait que le quinquina pris à propos la guérira : c’est bien assez : on ignore le comment. J’ai lu quelque part ces petits vers, qui me paraissent d’une plaisanterie assez philosophique :

Dieu mûrit à Moka, dans le sable arabique,
Ce café nécessaire aux pays des frimas :

  1. Article ajouté, en 1774, dans l’édition in-4o. (B.)