ensuite retiré dans son canot, le gouverneur envoie contre lui un vaisseau de guerre avec des soldats et un bourreau. L’Olonois se rend maître du vaisseau, il coupe lui-même la tête aux soldats espagnols qu’il a pris, et renvoie le bourreau au gouverneur[1]. Jamais les Romains ni les autres peuples brigands ne firent des actions si étonnantes. Le voyage guerrier de l’amiral Anson autour du monde n’est qu’une promenade agréable en comparaison du passage des flibustiers dans la mer du Sud[2], et de ce qu’ils essuyèrent en terre ferme.
S’ils avaient pu avoir une politique égale à leur indomptable courage, ils auraient fondé un grand empire en Amérique. Ils manquaient de filles ; mais au lieu de ravir et d’épouser des Sabines, comme on le dit des Romains, ils en firent venir de la Salpêtrière de Paris : cela ne forma pas une génération.
Ils étaient plus cruels envers les Espagnols que les Israélites ne le furent jamais envers les Chananéens. On parle d’un Hollandais nommé Roc, qui mit plusieurs Espagnols à la broche, et qui en fit manger à ses camarades. Leurs expéditions furent des tours de voleurs, et jamais des campagnes de conquérants : aussi ne les appelait-on dans toutes les Indes occidentales que los ladrones. Quand ils surprenaient une ville, et qu’ils entraient dans la maison d’un père de famille, ils le mettaient à la torture pour découvrir ses trésors. Cela prouve assez ce que nous dirons à l’article Question, que la torture fut inventée par les voleurs de grand chemin.
Ce qui rendit tous leurs exploits inutiles, c’est qu’ils prodiguèrent en débauches aussi folles que monstrueuses tout ce qu’ils avaient acquis par la rapine et par le meurtre. Enfin il ne reste plus d’eux que leur nom, et encore à peine. Tels furent les flibustiers.
Mais quel peuple en Europe ne fut pas flibustier ? Ces Goths, ces Alains, ces Vandales, ces Huns, étaient-ils autre chose? Qu’était Rollon, qui s’établit en Normandie, et Guillaume Fier-à-Bras[3], sinon des flibustiers plus habiles ? Clovis n’était-il pas un flibustier qui vint des bords du Rhin dans les Gaules ?
- ↑ Cet Olonois fut pris et mangé depuis par les sauvages. (Note de Voltaire.)
- ↑ Voyez tome XII, page 415.
- ↑ Guillaume, duc d’Aquitaine et beau-frère de Hugues Capet, dut le surnom de Fier-à-bras à sa force extraordinaire, et non à ses expéditions guerrières, qui ne furent pas heureuses. (B.)