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FOI.



FOI ou FOY[1].


 

SECTION PREMIÈRE.


Qu’est-ce que la foi ? Est-ce de croire ce qui paraît évident ? non ; il m’est évident qu’il y a un Être nécessaire, éternel, suprême, intelligent : ce n’est pas là de la foi, c’est de la raison. Je n’ai aucun mérite à penser que cet Être éternel, infini, que je connais comme la vertu, la Bonté même, veut que je sois bon et vertueux. La foi consiste à croire, non ce qui semble vrai, mais ce qui semble faux à notre entendement. Les Asiatiques ne peuvent croire que par la foi le voyage de Mahomet dans les sept planètes, les incarnations du dieu Fo, de Vistnou, de Xaca, de Brama, de Sammonocodom, etc., etc., etc. Ils soumettent leur entendement, ils tremblent d’examiner, ils ne veulent être ni empalés, ni brûlés ; ils disent : Je crois.

Nous sommes bien éloignés de faire ici la moindre allusion à la foi catholique. Non-seulement nous la vénérons, mais nous l’avons : nous ne parlerons que de la foi mensongère des autres nations du monde, de cette foi qui n’est pas foi, et qui ne consiste qu’en paroles.

Il y a foi pour les choses étonnantes, et foi pour les choses contradictoires et impossibles.

Vistnou s’est incarné cinq cents fois : cela est fort étonnant, mais enfin cela n’est pas physiquement impossible, car si Vistnou a une âme, il peut avoir mis son âme dans cinq cents corps pour se réjouir. L’Indien, à la vérité, n’a pas une foi bien vive ; il n’est pas intimement persuadé de ces métamorphoses ; mais enfin il dira à son bonze : « J’ai la foi ; vous voulez que Vistnou ait passé par cinq cents incarnations, cela vous vaut cinq cents roupies de rente ; à la bonne heure ; vous irez crier contre moi, vous me dénoncerez, vous ruinerez mon commerce si je n’ai pas la foi. Eh bien ! j’ai la foi, et voilà de plus dix roupies que je vous donne. » L’Indien peut jurer à ce bonze qu’il croit, sans faire un faux serment : car, après tout, il ne lui est pas démontré que Vistnou n’est pas venu cinq cents fois dans les Indes.

  1. L’article Foy, qui parut pour la première fois dans une édition de 1765 du Dictionnaire philosophique, se composait alors de la majeure partie de cette première section. En le reproduisant, en 1771, dans la sixième partie des Questions sur l’Encyclopédie, l’auteur y ajouta le second alinéa et une grande partie du dernier. (B.)