Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
230
GENÈSE.

ment. On peut bien dire : Dieu n’est rien de ce que nous connaissons ; mais on ne peut avoir aucune idée de ce qu’il est. Les Juifs crurent Dieu constamment corporel, comme tous les autres peuples. Tous les premiers Pères de l’Église crurent aussi Dieu corporel, jusqu’à ce qu’ils eussent embrassé les idées de Platon, ou plutôt jusqu’à ce que les lumières du christianisme fussent plus pures.

« Il les créa mâle et femelle. »

Si Dieu ou les dieux secondaires créèrent l’homme mâle et femelle à leur ressemblance, il semble en ce cas que les Juifs croyaient Dieu et les dieux mâles et femelles. On a recherché si l’auteur veut dire que l’homme avait d’abord les deux sexes, ou s’il entend que Dieu fit Adam et Ève le même jour. Le sens le plus naturel est que Dieu forma Adam et Ève en même temps ; mais ce sens contredirait absolument la formation de la femme, faite d’une côte de l’homme longtemps après les sept jours.

« Et il se reposa le septième jour. »

Les Phéniciens, les Chaldéens, les Indiens, disaient que Dieu avait fait le monde en six temps, que l’ancien Zoroastre appelle les six gahambârs, si célèbres chez les Perses.

Il est incontestable que tous ces peuples avaient une théologie avant que les Juifs habitassent les déserts d’Horeb et de Sinaï, avant qu’ils pussent avoir des écrivains. Plusieurs savants ont cru vraisemblable que l’allégorie des six jours est imitée de celle des six temps. Dieu peut avoir permis que de grands peuples eussent cette idée avant qu’il l’eût inspirée au peuple juif. Il avait bien permis que les autres peuples inventassent les arts avant que les Juifs en eussent aucun.

« Du lieu de volupté sortait un fleuve qui arrosait le jardin, et de là se partageait en quatre fleuves : l’un s’appelle Phison, qui tourne dans le pays d’Hévilath où vient l’or... Le second s’appelle Géhon, qui entoure l’Éthiopie... Le troisième est le Tigre, et le quatrième l’Euphrate. »

Suivant cette version, le paradis terrestre aurait contenu près du tiers de l’Asie et de l’Afrique. L’Euphrate et le Tigre ont leur source à plus de soixante grandes lieues l’un de l’autre, dans des montagnes horribles qui ne ressemblent guère à un jardin. Le fleuve qui borde l’Éthiopie, et qui ne peut être que le Nil, commence à plus de mille lieues des sources du Tigre et de l’Euphrate ; et si le Phison est le Phase, il est assez étonnant de mettre au même endroit la source d’un fleuve de Scythie et celle d’un