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GOUVERNEMENT.
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introduit dans ce grand édifice comme un feu dévorant qui consume un beau bâtiment qui n’est que de bois.

Il a été rebâti de pierre du temps de Guillaume d’Orauge. La philosophie a détruit le fanatisme, qui ébranle les États les plus fermes. Il est à croire qu’une constitution qui a réglé les droits du roi, des nobles, et du peuple, et dans laquelle chacun trouve sa sûreté, durera autant que les choses humaines peuvent durer.

Il est à croire aussi que tous les États qui ne sont pas fondés sur de tels principes éprouveront des révolutions[1].

Voici à quoi la législation anglaise est enfin parvenue : à remettre chaque homme dans tous les droits de la nature, dont ils sont dépouillés dans presque toutes les monarchies. Ces droits sont : liberté entière de sa personne, de ses biens ; de parler à la nation par l’organe de sa plume ; de ne pouvoir être jugé en matière criminelle que par un jury formé d’hommes indépendants ; de ne pouvoir être jugé en aucun cas que suivant les termes précis de la loi ; de professer en paix quelque religion qu’on veuille, en renonçant aux emplois dont les seuls anglicans peuvent être pourvus. Cela s’appelle des prérogatives. Et en effet, c’est une très-grande et très-heureuse prérogative par-dessus tant de nations, d’être sûr en vous couchant que vous vous réveillerez le lendemain avec la même fortune que vous possédiez la veille ; que vous ne serez pas enlevé des bras de votre femme, de vos enfants, au milieu de la nuit, pour être conduit dans un donjon ou dans un désert ; que vous aurez, en sortant du sommeil, le pouvoir de publier tout ce que vous pensez ; que si vous êtes accusé, soit pour avoir mal agi, ou mal parlé, ou mal écrit, vous ne serez jugé que suivant la loi. Cette prérogative s’étend sur tout ce qui aborde en Angleterre. Un étranger y jouit de la même liberté de ses biens et de sa personne ; et s’il est accusé, il peut demander que la moitié des jurés soit composée d’étrangers.

J’ose dire que si on assemblait le genre humain pour faire des

  1. Dans les premières éditions des Questions sur l’Encyclopédie, cet article, qui formait la section vi de l’article Gouvernement, se terminait ainsi :

    « Après avoir écrit cet article, j’ai relu le dernier article du livre XIX de l’Esprit des lois, dans lequel l’auteur fait un portrait de l’Angleterre sans la nommer. J’ai été sur le point de jeter au feu mon article ; mais j’ai considéré que s’il n’a pas les traits d’esprit, la finesse, la profondeur qu’on admire dans le président de Montesquieu, il peut encore être utile ; il est fondé sur des faits incontestables, et on conteste quelquefois les idées les plus ingénieuses. » — Dans sa Lettre sur un écrit anonyme, qui fait partie des Mélanges (année 1772), Voltaire faisant mention de ce passage, il a paru nécessaire de le reporter ici. La fin de cette section fut ajoutée en 1774. (B.)