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GUEUX, MENDIANT.

mine qui s’attache à l’opulence ; oui, mais il faut la secouer. Il faut que l’opulence fasse travailler la pauvreté ; que les hôpitaux soient pour les maladies et la vieillesse, les ateliers pour la jeunesse saine et vigoureuse.

Voici un extrait d’un sermon qu’un prédicateur fit, il y a dix ans, pour la paroisse Saint-Leu et Saint-Gilles, qui est la paroisse des gueux et des convulsionnaires :

« Pauperes evangelizantur (saint Matth., chap. xi, 5), les pauvres sont évangélisés. »

Que veut dire évangile, gueux, mes chers frères ? il signifie bonne nouvelle. C’est donc une bonne nouvelle que je viens vous apprendre ; et quelle est-elle ? C’est que si vous êtes des fainéants, vous mourrez sur un fumier. Sachez qu’il y eut autrefois des rois fainéants, du moins on le dit ; et ils finirent par n’avoir pas un asile. Si vous travaillez, vous serez aussi heureux que les autres hommes.

Messieurs les prédicateurs de Saint-Eustache et de Saint-Roch peuvent prêcher aux riches de fort beaux sermons en style fleuri, qui procurent aux auditeurs une digestion aisée dans un doux assoupissement, et mille écus à l’orateur ; mais je parle à des gens que la faim éveille. Travaillez pour manger, vous dis-je, car l’Écriture a dit : Qui ne travaille pas ne mérite pas de manger. Notre confrère Job, qui fut quelque temps dans votre état, dit que l’homme est né pour le travail comme l’oiseau pour voler. Voyez cette ville immense, tout le monde est occupé : les juges se lèvent à quatre heures du matin pour vous rendre justice et pour vous envoyer aux galères, si votre fainéantise vous porte à voler maladroitement.

Le roi travaille ; il assiste tous les jours à ses conseils ; il a fait des campagnes. Vous me direz qu’il n’en est pas plus riche : d’accord, mais ce n’est pas sa faute. Les financiers savent mieux que vous et moi qu’il n’entre pas dans ses coffres la moitié de son revenu ; il a été obligé de vendre sa vaisselle pour nous défendre contre nos ennemis : nous devons l’aider à notre tour. L’Ami des hommes ne lui accorde que soixante et quinze millions par an ; un autre ami lui en donne tout d’un coup sept cent quarante. Mais de tous ces amis de Job, il n’y en a pas un qui lui avance un écu. Il faut qu’on invente mille moyens ingénieux pour prendre dans nos poches cet écu qui n’arrive dans la sienne que diminué de moitié.

Travaillez donc, mes chers frères ; agissez pour vous, car je vous avertis que si vous n’avez pas soin de vous-mêmes, personne